Just Married

[TW : VULGARITE, LANGAGE FAMILIER, ALCOOL]

18 novembre 2114

Début de la deuxième soirée ou simple continuité de la première ; tout dépend sous quel angle on aborde mon état d’ébriété depuis que je me suis fait larguer.  

Minuit approchant, je décide de rentrer à pied finalement, bien que chancelant. Pour décuver, rien de tel qu’une bonne brise bien gelée -et surtout, aucun conducteur de taxi qui pourrait trop souvent freiner ou allumer le chauffage jusqu’à ce que les vitres soient embuées. Non, non. Cette nuit, je ne veux pas gerber.  

Je ne vais pas gerber.

‒ Répète après moi, Chul : “Dégobiller, ça serait tricher !”

Mais bizarrement, plus je me le répète à haute voix et plus je me sens con comme un puceau qui va faire sa première fois.  

[...]

Arrivé devant l’appartement, non sans trois détours et deux actes de bravoure [libérer un chien emprisonné et arroser les plantes d’un nectar bien ambré], la porte finit par me laisser passer après quatre essais... et quelques injures mal placées contre cette serrure à code qui ne cesse de beuguer. Les chaussures toujours aux pieds, je m’apprête à me baisser pour tenter de les retirer sans tomber. Du moins, c’était ma volonté jusqu’à ce que mon corps se mette à balancer et que, dans un élan désespéré, je me retiens au premier meuble à ma portée.  

Bam.  

Le tiroir vient de lâcher et, dans un bruit fracassant, tout vient s’écraser, à commencer par mes genoux suivis de ma joue. Clé, cadenas, tire-bouchon, cartes de visites, sucette reçue en cadeau et cette photo. Retournée, comme pour me protéger d’un secret, c’est elle qui attire ma curiosité en premier. Toujours à terre, il me suffit de l’attraper du bout des doigts pour la scruter, de dos, essayant d’abord de deviner laquelle aurai-je bien pue vouloir conserver au point de la cacher différencier.  

Le suspense à son apogée, soit cinq secondes plus tard à tout casser, je finis par la tourner.

Comment ai-je pu l’oublier ?

Sur un paysage hospitalier, ce petit bébé à la chevelure noir de jais tenu à bout de bras tremblotants par un jeune papa. Le jour de la naissance de Sachi, il y a neuf ans de ça maintenant. Ma raison de vivre aujourd’hui, ma fille. Bien que là, présentement, on ne dirait pas que je sois élu la figure paternelle la plus stable pour elle...  

D’ailleurs, s’il m’est déjà arrivé de penser qu’elle aurait mérité une autre famille, je me suis aussi demandé à quoi ressemblerait ma vie aujourd’hui si elle n’en avait jamais fait partie ?

Il y a tant de moments où j’aurai pu choisir de faire autrement, à commencer par me protéger à chaque fois que l’occasion s’est présentée pour éviter que l’une d’entre elles vienne m’envoyer un message en m’annonçant qu’elle est tombée enceinte sans le remarquer. Ajoutant, par-dessus le marché, que la grossesse est trop avancée pour avorter.  

Ou alors, plus spécifiquement, éviter de tendre une bouteille d’eau à cette nouvelle étudiante japonaise essoufflée qui a failli louper son premier cours à l’université...

Qu’importe, dans les deux cas cités, je ne serai pas devenu un papa devant porter seul tout le poids des responsabilités.  

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18h24 – Nouveau message privé reçu de jow_jow
jow_jow : “hé Chul, tu sors ce soir ?”  
Chul82 : “Ouais, à quelle heure ? J’finis ma partie de play et j’arrive.”  
jow_jow : “20h. RDV au The Youn Hoohak bar.”  
Chul82 : “OK”  

Rejetant mon portable sur ma couette encore défaite depuis ma dernière sieste, je rempoigne ma manette pour reprendre ma partie et laminer mes ennemis.  

Enfin, c’est ce que je croyais jusqu’à ce que je sois éliminé au bout de sept minutes tel un noob de six ans qui commence à jouer. ’fait chier , ça m’a grave vexé mais au lieu d’être encore plus déterminé à m’améliorer, je préfère tout éteindre pour ne plus y penser.  

Toutes les lumières éteintes, je réalise que la nuit est tombée sans que je ne l’aie remarqué. Après tout, difficile de le remarquer quand cela ne fait que trois heures que je suis réveillé et, qu’à peine levé, je me contente de marcher de mon lit à ma chaise pour me coller devant la télé. Pourtant, cela ne m’empêche pas de laisser un long soupire de fatigue s’échapper de ma gorge irritée... séquelle d’hier où j’ai un peu trop abusé.  

Rien que d’y repenser, un large sourire amusé s’étire sur mes lippes. Dire que dans moins de deux heures, le même schéma va recommencer. J’hésite même à réinviter Ji-woo, histoire de pouvoir apprendre à mieux la connaître... et retirer mon coup. Quoique, Asami, moins charismatique, m’exige moins de mots doux...

Hm. Sous le stress de cette problématique, je préfère attendre et me déciderai en fonction des filles présentes dans la soirée, le cœur léger.  

Qu’il est bon de profiter de sa liberté, de rien avoir à se soucier.  

N’ayant donc rien d’autre à faire en attendant, si ce n’est une douche et la préparation de quelques vêtements, je retourne m’allonger sur mes draps froissés et retrouver celui que j’ai tantôt jeté sur mon lit ; mon meilleur ami en cas d’ennui.  

Scrollant les dernières actualités sur mes réseaux sociaux pour m’occuper, une nouvelle notification m’est adressée.  

18h46 - Nouveau message privé reçu de jow_jow:  
jow_jow : “Au fait, Chae t’a dit qu’il part bientôt ?”  
Chul82 : “Il part où ?”  
jow_jow : “Au Japon”  
Chul82 : “QUOI ???!!”  
jow_jow : “Apparemment l’un leurs parents est japonais et ils ne savaient pas. Ils vont y vivre car son frère vient d’être marié, il doit vite aller sur le territoire”
Chul82 : “NON ?!!!!!!”  
Chul82 : “ATT, J SUIS CHEZ LUI DANS DIX MIN”  

Finalement, la tranquillité n’aura été que de courte durée.  

Je n’en reviens pas que mon meilleur ami m’ait omis de m’en parler. Pourtant, ce ne sont pas les occasions qui lui ont manqué !  

Encore choqué par ce que mes pupilles viennent de survoler, je ne pense même pas à me changer avant de dévaler les escaliers. Pire encore, mes pieds viennent à s’emmêler. Heureusement, j’arrive à me retenir à la rambarde pour éviter de m’écraser... au dépit de mon portable, qui lui voit son écran se fissurer.  

Je crois que j’aurai mieux fait de me fouler le pied, ça m’serait revenu moins cher

Blasé, je range l’appareil dans la poche de mon jean troué avant de me chausser. Prêt à partir en trombe, sans manteau ni bonnet malgré la neige qui chute sans arrêt, une voix familière s’élève pour me stopper.  

‒ Chul, tu pars bosser au restau ?

Ma grande sœur, dont la tête vient sortir du cadrant de la porte pour me saluer, me ramène un peu de réconfort inconsciemment à travers son étreinte que je ne peux qu’accepter. Après tout, c’est l’une des rares filles qui m’inspire du respect. Sûrement, parce qu’elle m’a élevé à défaut de mes parents.  

‒ Non, ils m’ont viré parce que j’étais encore en retard hier !
‒ ENCORE ?! MAIS COMMENT TU VAS FAIRE FINANCIEREMENT ? ET LES PARENTS ?

Son ton inquiet m’arrache un rire déplacé, n’ayant rien d’autre pour détendre l’atmosphère devenue bien trop austère.  

‒ JE N’SAIS PAS JAE-HWA !

Je ne sais pas. Jae-Hwa m’a souvent aidé à cacher ou atténuer mon comportement face à nos parents... faut dire qu’on est en conflit permanent depuis au moins huit ans, si ce n’est plus, en raison de mon mode de vie –ou plutôt, mon absence d’objectifs dans la vie.

‒ Ce n’est pas en jouant les mannequins pour une marque une fois tous les cinq mois et un petit placement de produit que tu vas réussir à vivre et à partir d’ici ! Les parents le savent déjà ?  
‒ Bien sûr que non ! Sinon, je serai déjà à la porte ! Mais là, j’ai Chae qui a un problème et-
‒ Toi aussi, tu as un problème ! M’interrompt ma sœur subitement, reprenant d’un timbre bien plus tranchant pour me lancer un dernier avertissement. Chul, ni moi ni tes sœurs ou ton frère ni nos parents ne savons comment t’aider pour que tu comprennes que pour réussir dans la vie, tu dois être prêt à faire des sacrifices ! Sur ton temps, sur ta santé, ton organisation... Arrête d’être égoïste et je-m’en-foutiste !  

A cet instant, j’ai réalisé qu’il y a une part de vérité dans ce qu’elle vient de me reprocher...

A quel moment ai-je foiré pour être devenu un petit con sans aucune motivation ?  

Et si je pouvais revenir dans le passé, que devrais-je changer pour gagner en maturité ?

MOTS : 1499