Terreciel & Pandémonium

Je suis, soussigné, Saga Ragnarsdottir, souveraine d'Isvall, accepte d'être commenté et lu à voix haute par les citoyens de l'Interforum.

De ma main,

Saga Ragnarsdottir

L'univers de Terreciel:

Saga Ragnarsdottir:

La voix grave du juge résonne dans la salle d’audience, imprégnée d’une solennité sans pareille.

“Aujourd’hui, nous sommes réunis pour juger les crimes commis par l’accusé, le citoyen Kaupalo, contre l’Alliance des Cinq Cités. Les faits sont graves. Extrêmement graves. Les chefs d’accusations sont la sédition contre le Conseil des Cinq, la haute trahison et la conspiration avec les ennemis des Cinq Cités. Je rappelle aux jurés que nous parlons de crimes passibles de l’enfermement à vie au bloc-prison de Kharzem et d'exécution par la précipitation dans le vide. Il est de votre responsabilité, de votre devoir de citoyen de décider en votre âme et votre conscience de la sentence de l’accusé.”

Or, le juge n’est pas à l’aise, il est conscient qu’il est en train de juger un individu dont le seul crime est d’avoir parlé de ses doutes sur l’Alliance des Cinq en public. Son regard se porte sur le personnage à l’apparence solaire sur le banc des accusés. Kaupalo ne semble nullement défait par son arrestation et l’instruction de son procès. Au contraire, il se tient avec l’arrogance, la conviction d’avoir raison. Ses yeux bleus sont un lac de sérénité insondable. L’accusé croise le regard du juge, le soutient avec aplomb. Pourtant, le marteau de la justice pourrait bien s’abattre cruellement sur lui au vu de ce qui lui est reproché en ce jour fatidique. Le glas de sa vie pourrait sonner, précipitée dans le vide ou enfermée dans le terrible bloc-prison de Kharzem. Le juge le sait. Kharzem est la prison politique de l’Alliance, là où finissent les opposants aux décisions du Conseil des Cinq.

“Ce qui est reproché à l’accusé, c’est d’avoir, à plusieurs reprises, prononcé des discours à charge contre le Conseil de l’Alliance, dénoncé le système des Colonies et conspiré avec les ennemis de l’Alliance pour renverser les gouvernements des Cinq Cités. Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés accusé Kaupalo ?”

“Je le reconnais. Oui.”

Il aurait pu nier. Déclarer n’avoir rien dit en public. Supplier le juge et les jurés. Il ne fait rien de tout ça. C’est un homme de conviction, prêt à son sacrifice sur l’autel de ses propres idées. Un tumulte explose à la reconnaissance des faits par l’accusé. Soudain la vision du juge se brouille, peut-être hallucine-t-il même. Le public du tribunal a doublé. Des étrangers dans des tenues pittoresques, différentes de celles qu’il connaît. Les jurés ont changé. Une recomposition spéciale pour juger une double affaire : Les Joueurs. Il y a désormais deux accusés répondant à des chefs d’accusations similaires contre d’autres organisations politiques. Comment est-ce que sa salle d’audience a pu se transformer en un double procès ? Il garde contenance. Il est juge. Il a une décision à prendre. Deux sentences à rendre lourdes de conséquences politiques pour deux mondes.

Un pégase miniature vole lâchant des plumes minuscules au passage. Il se pose sur l’épaule du juge et replie ses ailes. Sur son dos, une réplique miniature d’une dirigeante des Cinq Cités : Saga Ragnardottìr. De sa bouche sort les propos les plus étonnants qu’il aurait pu entendre de la part d’une souveraine d’une cité-Mère, membre du Conseil des Cinq Cités lui-même.

“Ne détournez pas les yeux. Ne laissez pas la justice devenir une chose injuste entre les mains du Conseil des Cinq Cités. Armez-vous de votre courage et prononcez la liberté de cet homme.”

“Que vous faut-t-il de plus, juge ? Vous savez au fond de vous que l’Alliance des Cinq s’est éloignée depuis longtemps de ses buts originels. Elle devait partager librement ses ressources entre les cités dans le besoin mais elle est restée fermée à l’alliance avec les Cités Libres. Le noble idéal de partage de nos ancêtres est moribond, laissé-pour-compte dans la fosse commune des intérêts des puissants. En refusant de céder aux pressions politiques, vous réaffirmerez qu’il n’est pas mort ! Que l’Alliance peut retrouver ses racines. L’esprit des traités originels.”

“Souvenez-vous de ces malheureux citoyens des colonies, accusés de sédition alors qu’ils ne désiraient qu’améliorer leur sort ! Faire entendre leurs doléances dans un esprit pacifique à leurs gouvernements respectifs. Les cités-mères s’assurent le contrôle, le monopole des ressources des Colonies qui doivent passer par elles avant d’être vendues dans tout Terreciel. Elles négligent d’accorder le droit aux citoyens de colonies d’être représentés et entendus sur leur bloc. Or c’est là où ils vivent, et ce n’est pas là où vit les habitants des cités-mères. N’est-ce pas un comportement tyrannique dénué de tout esprit d’entente, de mise en commun des ressources, esprit qui était à l'origine de la création de l’Alliance des Cinq ?”

“Faites respecter l’esprit des traités d’alliance, et non les lettres de la loi à la virgule près. Relâchez cet homme. Redressez cette Alliance qui s’est perdue en cours de route sur le bon chemin. Celui de l’entente, du partage, de la mise en commun des ressources, du respect des différences. Déclarez le droit des colonies à décider de leur autonomie comme je l’ai fait en Isvall. J’ai autorisé la communauté de Björnfjäll à prendre des décisions elle-même à partir du moment qu’elles concernent leur bloc.”

“Entendez le souffle des citoyens des colonies négligés, piétinés dans leurs revendications. Ils demandent des changements. Ils demandent plus de justice, plus de représentations dans le fonctionnement des Cinq Cités. Accordez-le-leur cette reconnaissance en prononçant la liberté du citoyen Kaupalo. Ne commettez pas l’erreur de réprimer par la violence des idées. Par la condamnation pure et simple. Exactement comme l’a fait le roi d’Alryon, Nathaniel Blackwood, à New Cresthill. Massacrer son propre peuple plutôt que de l'écouter. Les idées ne meurent pas comme le peuvent leur avatars, ceux qui les professent en public, entre les pages des journaux.”

“Plus grave encore, de la part des Cinq Cités, est ce mépris pour les habitants des blocs périphériques. C’est eux qui nous fournissent la nourriture si précieuse à Terreciel, où la terre est rare, morcelée en blocs gravitant dans le ciel. Leur travail de la terre permet aux cités-mère de ne pas mourir de fin, de se pérenniser dans le temps. Nous ne sommes guère mieux lotis dans nos approvisionnements en eau ; c'est l'inquiétude majeure de tous les blocs. Ne perdons pas de temps à nous diviser, à nous entretuer, la solution est dans l’entraide et le respect. Elle est dans une juste répartition des ressources.”

“Je vous en prie. Ne le condamnez pas à Kharzem, le bloc-prison. Renvoyez-le sur un bloc-libre. N’écoutez pas la voix des intérêts égoïstes des nobles, des puissants, ni le langage de l’argent. C’est de la corruption. C’est illégal. Vous le savez. Vous savez aussi bien que les autres magistrats ce que je fais des juges qui acceptent les pots-de-vins. Ils retrouvent dans une salle d’audience comme le citoyen Kaupalo. Jugé par un ancien pair et un jury. Ou par moi-même. Alors, ils perdent leurs privilèges. Leurs postes. Leurs demeures. Leurs fortunes. Tout.”

Le juge est blême, il s’arrache à la contemplation terrible de l’ange pour regarder le diable. Peut-être que les mots lui seront plus doux à l’oreille. Moins cruel. Moins dangereux. Une musique plus douce à l’oreille, tentation méphistophélique de la facilité. Que va lui dire cet immortel moustachu ? Il le protégera sûrement de cette aveugle exigence de justice. Lui cacher cette vérité grondante parmi la population. N’est-il pas le grand directeur du théâtre de Pandémonium ? Il a sûrement l’oreille des puissants qui pourraient le sauver de cet ange sauvage et menaçant !

“Ne fermez pas les yeux, juge.”, le supplie une dernière fois l’ange de la justice, Saga Ragnarsdottir. “Vous savez ce qui est juste. Et vous, jury de Joueurs, aussi. Jurés Gelos, Snow, Cire, Danitza, Marius, Misha, Eelis, Kaoren, Melkus, Loutre, Bunta.”

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Contexte:

Léonard:

La salle du tribunal est comble, les changesformes étaient nombreux, tout comme les mortels qui peuplent Pandémonium. Les vampires restaient discrets, comme si leur présence risquait de mettre le doigt sur le fait qu’ils étaient les oubliés de l’affaire. Pour leur plus grand plaisir.

« Aujourd’hui, nous sommes réunis pour juger les crimes commis par l’accusé, le citoyen Khors. Les faits sont graves. Les chefs d’accusations sont la sédition contre l’organisation en place avec les changeformes et la conspiration avec les familles de chasseurs. Je rappelle aux jurés que nous parlons de crimes passibles de l’enfermement à vie dans une prison de niveau 3. Il est de votre responsabilité, de votre devoir, de décider en votre âme et conscience de la sentence adaptée. »

Le juge est hésitant, il était bien conscient de son propre tiraillement, parce qu’en soit, lui et les autres juges aspiraient à traîner les immortels devant la justice. Celle pratiquée par les hommes, pour les hommes. En dépit de sa situation, Khors paraissait apaisé, son visage abordait toujours le même sourire avenant et ses yeux reflétaient sa tranquillité d’esprit. Comme si ses mains entravées n'étaient qu’une futilité dans son projet de vie.

« Ce qui est reproché à l’accusé, c’est d’avoir, à plusieurs reprises, prononcé des discours à charge contre la situation des immortels et surtout des changeformes, dénoncé leur propre système de justice et conspiré avec les chasseurs pour renverser l’ordre établi entre mortels et immortels. Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés, Khors ?
- Je le reconnais. »

L’accusé était digne, ses yeux et son corps ne montraient aucune hésitation et personne ne pouvait s’attendre à un retournement de situation de sa part. L’annonce des chefs d’accusations et leur reconnaissance plonge la salle dans un immense brouhaha. Les changeformes vocifèrent contre cette trahison envers leur espèce si durement malmenée à ses débuts. Le juge exige le silence et l’apaisement de ces immortels qui risquent à tout moment de devenir ingérables.
Le calme n’est acquis que lorsque le public change et s’étoffe de nombreux autres mortels, la différence et la nouveauté ayant pour bénéfices d’apaiser la colère de l’assemblée. Le juge est déstabilisé, dans ce procès unique où il sentait en lui-même un changement, comme s’il appartenait à ces deux mondes et qu’il en connaissait les coutumes, leur politique et bien plus encore. Sur son épaule, la version miniature de la dirigeante des Cinq Cités lui dicta son point de vue et ses recommandations, intransigeante dans la décision qu’il devait prendre. A peine eut-elle terminé que le directeur prit place sur son épaule encore libre. Il s’installe, s’étire et chatouille presque le lobe de l’oreille du juge avec sa somptueuse moustache.

« Est-ce donc de cette justice-là que vous voulez, Monsieur le Juge ? Celle qui tombe dans les mains d’un groupe qui ne voit qu’une partie de la réalité ? Il n’y a pas de courage à se plier à la facilité alors, punissez les faits et l’homme derrière ces derniers. Vous savez que la Justice doit revêtir différentes tenues, pour que le bien commun règne, nous ne pouvons traiter tout le monde de la même façon. Nous ne sommes pas nés égaux et nous ne pourrons jamais l’être. En dépit de ce désir d’équité qui nous anime aussi, nous qui sommes de véritables cauchemars. »

Comme s’il avait besoin de donner une image à son argumentaire, le changeforme laisse sa partie monstrueuse remplacer sa forme humaine. Il embrasse l’imaginaire d’un démon, sa peau devenant cendre et ses yeux se limitant à de simples billes d’un blanc où rien ne pouvait transparaître.

« Souvenez-vous. Du début de notre race, de cette façon dont on nous appelait ‘’les maudits’’ et aujourd’hui, parce que nos hommes et nos femmes ont su se réunir, s’améliorer, se questionner et trouver leur place, on nous demande d’être traités comme des mortels ? »

Il n’y a pas de dégoût dans sa voix, un simple constat empreint de son propre souvenir.

« Ils sont avides de justice, d’une justice équitable et demandent la même exigence pour tous, en dépit de ce que nous sommes réellement, au plus profond de nous. On ne peut pas demander à ces gens d’être raisonnables. Ils ne voient qu’une seule partie du monde et on ne peut se permettre de prendre nos décisions qu’au travers du prisme de leurs désirs. »

« Redonnez la liberté à cet homme, c’est accepter d’opprimer ceux qui ne peuvent faire autrement. Nous n’ignorons pas nos travers, que certains trouvent inacceptables. Vous le savez, l’histoire a la fâcheuse tendance de se répéter alors n’oubliez pas. Ne laissez pas sombrer dans l’oubli les nombreuses victimes de cette guerre entre humains et vampires. Celle qui a causé ces siècles sans soleil avant que Creatorem ne souhaite enfin nous en offrir de nouveau. Ces derniers ont redonné vie à notre ville. Ne laissez pas l’obscurité reprendre Pandémonium en acceptant les demandes irrationnelles de ses citoyens. Nos lois et notre Sénat se veulent justes, ils ont une vision du monde, du vrai monde, de sa réalité et de ses besoins. Ils sont là pour éviter de retomber dans un monde de tout-droit, où chacun décide pour soi. »[/b]

« Pire, n’autorisez pas les citoyens à haïr tellement les immortels au point de chercher à reproduire les erreurs et à penser que cela est la bonne voie vers la justice et l’équité. Que nos espèces ne peuvent être tenues comme cause de toutes souffrances. N’oubliez pas tout ce qu’a pu offrir les immortels, que ce soit les clans de changeformes ou les nids de vampires, pour améliorer le quotidien des mortels. Souvenez-vous de toutes ces innovations : le tramway, l’électricité, la reprise de l’agriculture et surtout, la création d’une police d’élite… Toutes ces choses que l’humanité a pu retrouver grâce à ceux qui luttent tous les jours contre leur nature et leur instinct. Et que l’on cherche aujourd’hui à punir sous prétexte qu’ils ont un statut privilégié. »

Parce qu’il luttait lui-même contre sa nature, le directeur du Grand Théâtre reprend sa forme humaine.

« Je vous en conjure. Condamnez cet homme pour les faits et les pensées qu’il ose proliférer dans notre belle ville de Pandémonium. N’écoutez pas ces citoyens qui pensent que la paix se gagne dans le sang et la haine, car l’histoire nous a prouvé que seule la désolation en sera l’issue. »

Le juge hésite, ne sait pas réellement si les paroles de l’homme sont plus douces à son oreille et à son esprit. Le choix ne sera pas aisé, que ce soit l’un ou l’autre, les paroles étaient virulentes, animées par des valeurs qui s'expriment dans les extrêmes.

« N’entretenez pas l’hostilité, vous Monsieur le juge et vous aussi, Mesdames et Messieurs les jurés Nana, Eva, Kaoren, Lisbebou, Fanfan, Takeo, Kazu et MiniMiss. Pandémonium compte sur vous. »

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Pourquoi Koupalo et Khors ?: