The Otherlands & Pandémonium

Des pétales aux multiples couleurs dansant une envoûtante chorégraphie rythmée par la mélodie du vent qui s'amuse à caresser les brins d'herbes des collines alentour. Un ciel clair dans lequel quelques nuages se baladent paisiblement sans rien pour entraver leur avancée. Et, abstraction faite de la ville que j'aperçois en contrebas, l'impression d'être dans une bulle coupée du reste du monde. Un magnifique décor qui peut sans le moindre doute, se vanter de pouvoir sortir d'un conte de fées. L'agitation ayant pris possession du paysage en devient presque tragique.

Multiples plaintes et exclamations s'élèvent ici et là dans un brouhaha s'accroissant à chaque seconde. Amusement, choc, irritation, c'est une ribambelle sans fin d'émotions. D'ordinaire, le son du vivant n'est pas une chose qui me dérange, bien au contraire. Mais pour une raison que je ne sais expliquer, la conviction que ce bouillonnement d'activité n'est pas le bienvenu en ce lieu ne me quitte pas. Je ne peux pourtant blâmer les pauvres âmes qui ne font rien de plus que d'essayer d'assimiler les récents événements.

Un dernier regard à cet horizon presque irréel et je décide de m'avancer vers la ville. D'autres avaient visiblement eu la même idée, bien que certains soient plus craintifs que d'autres. Si de loin la cité semble charmante, de grandes étendues vertes laissant deviner des parcs ou des jardins. En m'approchant, je pus voir des édifices en pierres ou en briques, de tailles variées, mais avec toujours un grand soin apporté aux détails ainsi qu'à l'harmonie générale, trôner au centre de la ville. Probablement les quartiers les plus riches. La disposition ainsi que l'apparence des édifices m'aident à me faire une vague idée de la division et du fonctionnement de cette dernière. Et bien, quitte à me faire transporter dans un endroit inconnu, au moins ce dernier semble fascinant.


   

Malgré l'effort évident des constructeurs pour créer un résultat uniforme, plus j'observe cette étrange ville plus les petits détails et disparités deviennent visibles. Finalement, la cité me fait l'effet d'un gigantesque patchwork minutieusement planifié et habilement édifié. Le tout en faisant attention à laisser place à une certaine modernité technologique. Ajouté à cela l'apparente volonté de posséder plusieurs espaces végétaux, il devient évident que cette cité est très importante pour la population locale. Ayant entrevu les grandes étendues verdoyantes lors de mon arrivée, ma curiosité mène mes pas vers ces dernières, suivant les indications vers le quartier de la ville nommé "Les Jardins".

La zone possède un certain charme, des immeubles en brique côtoyant des parterres de fleurs ainsi que d'autres bâtiments hétéroclites, rénovés à l'aide de divers matériaux. La présence d'arbres crée un dôme d'ombre à certains endroits, protégeant ainsi les passants des rayons trop agressifs du soleil. Perdu dans mon observation, je ne fis pas attention à la personne s'approchant à grands pas. Ce dernier ne faisant également pas grand cas de ma
présence, la collusion fut inévitable. Le choc est douloureux et me laisse sonnée quelques secondes. Et, s' il a tout de même l'air de se remettre plus rapidement que moi, notre accrochage a néanmoins forcé l'homme à s'arrêter.

- Oh! Je suis navrée, mon esprit était distrait par le paysage. J'ose espérer ne pas vous avoir blessé?

La personne en face de moi est grande. À un juger par sa tenue et sa coiffure parfaitement mise en place, c'est quelqu'un qui a l'habitude de prendre soin de lui. Il possède également la silhouette robuste de ceux qui pratiquent régulièrement une activité physique. Mais le plus marquant reste son regard. Des yeux bleus glacés et glaçants, se posant sur ce qui l'entoure sans y prêter la moindre importance, et actuellement empli de haine. L'irritation semble l'envelopper entièrement, tel un costume fait sur mesure.


   

Quelque chose cloche. Je ne sais pas expliquer quoi, mais plus les secondes avancent plus l'air se remplit d'une aura malsaine. Tel un piège indétectable se refermant sournoisement sur sa proie, l'étouffant à petit feu au plus cette dernière se débat. Un goût âcre se répand sur mes lèvres alors que l'inconnu me faisant face murmure des propos incohérents, les yeux écarquillés, son esprit ayant l'air de sombrer inexorablement dans une transe sinistre. Bientôt, l'atmosphère paisible du lieu fut balayée par l'angoisse, les rires remplacés par les pleurs et les jeux ingénus d'enfants anéantis alors que ces derniers cherchent désespérément refuge auprès de leurs gardiens.

Chaque moment de détresse semble nourrir et faire gagner en puissance l’apparition. Comme si l'unique but de son existence est de répandre destruction et autres maux sur son passage. J'ignore d'où vient cette dernière ou encore de quel type de magie elle est issue. Mais je n'ai pas le moindre doute quant au fait que l'homme à mes côtés en ait le catalyseur. Volontairement ou non je ne le sais pas, et ce n'est actuellement pas la question la plus urgente. Le pauvre est désormais replié sur lui-même et, pendant l'espace d'un instant, la pensée qu'il se soit enfoncé bien trop profondément dans les limbes de sa conscience pour avoir la moindre possibilité de l'y faire revenir me traverse l'esprit.

Ma tentative de communication précédente s'est révélée inutile, et le moindre choc physique ou psychologique trop violent risque d'aggraver la situation. Le toucher n'est probablement pas la meilleure des idées, mais je n'en vois pas d'autres dans l'immédiat. J'attrape donc son poignet avec juste assez de force pour qu'il ne puisse pas l'ignorer, tout en faisant attention de lui laisser de l'espace pour qu'il ne se sente pas attaqué.

- J'ignore ce qu'il vous arrive, mais vous devez reprendre le contrôle. Vous allez finir par blesser quelqu'un si ce n'est pas vous-même.


   

Jusqu'à présent, la créature a fait plus de dégâts matériels que de mal. Elle a beau posséder une force indéniable, elle reste encore lente et maladroite, laissant une chance aux malchanceux sur son chemin de s'échapper. Elle ne semble également pas être dotée d'une grande intelligence, chargeant sans réfléchir la première chose qui entre dans son champ de vision. Peut-être est-ce dû au fait qu'il ne s'agisse que d'une sorte de pantin, amener à la vie par l'esprit troublé et confus de son créateur. À moins qu'elle soit simplement encore dans un stage incomplet de son invocation. Enfin, je ne compte pas attendre pour savoir laquelle de ses théories est correcte.

- Je ne connais pas votre créateur et je ne prétends pas savoir sa volonté. Mais il n'y a que des passants et des familles ici. Personne ne vous veut du mal. Votre invocation est en train de tout détruire sans discernement.

À en juger par ses expressions exagérées, virant quasiment au théâtral, l'inconnu est toujours en train de doucement sombrer vers une démence puisant dans une peur que lui seul peut contrer. Le fait qu'il soit encore assez réceptif à ce qui l'entoure pour communiquer avec moi est déjà bien plus que ce dont je pensais possible. Si je n'arrive pas à le convaincre de lâcher prise maintenant, je doute avoir une autre chance plus tard.

- Je ne suis qu'une simple voyageuse qui cherche à connaître le monde et ses histoires. Je n'ai probablement pas toutes les réponses aux questions qui vous tourmentent, mais je peux essayer de répondre à certaines.


   

Essayer de le raisonner n'est désormais plus une option viable. Peut-être qu'avec plus de temps, si la cristallisation même de sa haine n'était pas présente et occupée à saccager tout ce qui lui tombait sous la main. Mais certainement pas avec les quelques minutes qu'il reste à cet homme avant de complètement perdre pied. L'histoire de ce monde m'est inconnue, mais la racine du mal lui enserrant le cœur n'est pas différente de ce que j'ai déjà eu l'occasion d'observer dans les Otherlands.

La peur et le rejet de l'autre ne mènent jamais à rien de sain, encore moins quand ils semblent avoir été cultivés des années durant. Je dois réussir à le faire douter, même si cela ne dure qu'une seconde. Une minuscule hésitation, un instant d'inattention, la première craquelure permettant de fracturer l'emprise de cette magie ayant pris possession de lui. Et il était désormais clair que je n'allais pas y parvenir en faisant appel à son sens de l'empathie. Je dois viser quelque chose qui le touche personnellement.

- Et puis je vous demander sur quoi vous comptez régner si pour vous hisser au sommet vous détruisez tout sur votre passage ? L'histoire ne retiendra jamais le récit de dirigeants sans sujets.

À ce stade, c'est quitte ou double. Je l'ai vu se figer plus tôt, lorsque le mot "famille" a été prononcé. Et de ce que j'ai compris de ses paroles, cette dernière et ses croyances semblent avoir une place extrêmement importante dans la vie de cet homme.

- Et si vous aviez raison, que ce pouvoir est bel et bien la bénédiction de votre créateur, n'est-ce pas irrespectueux de votre part que de penser que vous puissiez maîtriser un tel présent aussi facilement, et sans aucune réflexion ? Qu'allez-vous faire si en vous élançant sans réfléchir vers la voie de la destruction vous ne faites rien d'autre que de précipiter votre famille dans la disgrâce ?