Oiseaux de nuit | Ft. Maeline Dave

Ce qu'il y avait de bien avec Paris, c'était que l'ont pouvait trouver tout et n'importe quoi. Et pour un artiste amateur, c'était aussi une multitude de sources d'inspiration. Et Misha aimait se perdre dans certains coin de la capitale pour profiter des différents paysages qui pouvaient s'imposer à ses pinceaux. Et ses sorties préférées étaient celles qu'il faisait sous la lune. Il avait toujours préféré veiller tard plutôt que de se lever tôt. Les réveils étaient toujours difficiles mais d'un autre côté, il ne parvenait jamais à se coucher de bonne heure. Alors il avait fini par abandonner les quelques tentatives qu'il avait vaguement essayé de tenir pour se coucher plus tôt et être debout aux premières heures du matin. Au final, vivre la nuit était bien plus facile pour lui, même s'il devait pour ça sacrifier quelques cours qu'il jugeait alors trop tôt. Et nul doute qu'il ne serait pas réveillé pour le cours d'Histoire de l'Art qu'il avait à la fac le lendemain matin à huit heure tapante.

Mais quelque part, il n'en n'avait pas grand chose à faire. Raison pour laquelle il se trouvait bel et bien dans la rue alors que la nuit était déjà bien avancée. Les transports ne fonctionnaient déjà plus, alors il s'était retrouvé à errer dans les rues presque désertes de la ville. Un casque sur les oreilles comme à son habitude, il flânait avec un petit sourire aux lèvres, les yeux souvent levés vers le ciel pour essayer d'apercevoir quelques étoiles, en dépit de la pollution lumineuse. Et finalement, c'était après une longue marche qu'il s'était retrouvé non loin du moulin de Montmartre. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer que le peintre qu'il admirait le plus s'était un jour trouvé à l'endroit même où il se trouvait actuellement et qu'il avait fait plusieurs toiles dont le personnage principal était ce fameux moulin. Par moment, il prenait à l'étudiant d'imaginer un retour dans le temps. Il était presque certain que Papillon, ce grand vilain de Paris, aurait le pouvoir de lui permettre de retourner à l'époque même où Van Gogh peignait ses plus belles toiles. Un petit soupir, le pouvoir de l'ennemi numéro un était tout bonnement fabuleux. A se demander pourquoi - et comment - ce dernier n'avait pas encore réussi à trouver des stratégies capables de battre les pseudo-héros de la capitale. Ou alors peut-être manquait-il simplement d'imagination ?

Misha s'arracha néanmoins à ces réflexions inutiles pour s'asseoir à même le sol, contre le mur d'un bâtiment faisant face au moulin et à son restaurant pour finalement sortir les affaires qu'il avait apporté dans son sac avec lui. A défaut d'une vraie toile, il avait posé sur ses jambes croisées son carnet préféré et étalé devant lui ses crayons et une panoplie de couleurs. Quelques manipulations sur son téléphone avant de le poser à côté de sa cuisse tandis que dans ses oreilles se lançaient une compilation de morceaux de piano. Son croquis avait rapidement prit forme avant qu'il ne passe aux couleurs. C'était ce qu'il préférait faire. Ses croquis étaient toujours sommaires, quelques traits à peine définis. Tout se jouait avec les couleurs. Un crayon dans la bouche qu'il échangeait souvent avec celui qu'il utilisait sur le moment, il alternait les couleurs froides et les jeux de lumières de la lune et de la nuit. Fréquemment, ses doigts tapotaient sur le carnet au rythme des notes dans ses oreilles.

Totalement enfermé dans son monde, il ne semblait n'exister plus que la musique, le moulin et son matériel de dessin.

Des teintes, des lueurs. Les couleurs, c'était définitivement ce qu'il préférait. Tout son monde n'était toujours que couleurs sur couleurs. Sa vie était pleine de couleurs, la musique lui offrait ses couleurs. Et son dessin, sous les notes, sous ses crayons, prenait vie. Le moulin se dressait dans une explosion de teintes et de lueurs qui n'existaient que pour lui. Les froides couleurs de la nuit, de l'atmosphère des étoiles, de la lune dans sa pâleur cadavérique. Puis les teintes qui devenaient plus chaude, doucement. Le bleu qui se mélangeait au rouge pour devenir mauve, et peu à peu le grand moulin semblait s'allumer, se retrouver dans un autre monde. Dans une autre époque peut-être.

La nuit de Paris, loin de toute l'agitation, de tout les touristes désormais endormis, de tous ces parisiens qui ne voyaient plus la beauté de leur ville. Métro. Boulot. Dodo. Qu'importait la lumière, la couleur. Qu'importait l'art et la beauté. Il n'y avait plus qu'un monde de gris. Misha le refusait, ce monde. Il refusait la vie triste, morne et grise. Sa vie était multicolore, plus éclatante que les arc-en-ciel qui naissaient après les jours pluvieux. C'était ce Paris là qu'il aimait. Le Paris des imaginaires, des histoires. Le Paris Romantique, éclatant. La ville de l'amour.

L'arrivée de cette jeune femme l'avait fait sursauter. Juste un peu. Doucement. Simplement, il ne s'y attendait pas. Il laissa s'échapper un petit rire nerveux. « Haha, pardon, vous m'avez fait peur. » Il sourit néanmoins, les compliments, ça fait toujours plaisir. Et ça gonfle l'égo également. Toujours un peu plus lorsqu'il s'agit d'un avis totalement extérieur. Aucune subjectivité liée à une quelconque amitié ou connaissance. Simplement la pure expression d'une émotion et d'une appréciation. Il avait coupé la musique et abaissé son casque pour le laisser plus simplement autour de son cou. « C'est gentil merci. Hélas, pas encore. Un jour peut-être. » Un jour, peut-être. Peut-être pas. Il aimait peindre, il aimait dessiner. Pourrait-il un jour en vivre ? Avec le soutiens de papa et maman derrière, peut-être bien. Pas sûr pour autant qu'ils le laissent courir les rues pour trouver des lieux spéciaux à ses yeux pour l'éternité. Mais pour le moment il pouvait en profiter. « Je suis un étudiant tout ce qu'il y a de plus banal. »

Dans tous les cas, tant que son statut d'étudiant motiverait ses parents à lui verser de l'argent, il ne se priverait pas de ces sorties qu'il affectionnait tant. Vivre au jour le jour. Ne jamais rien regretter, voilà son credo. Et il ne regrettait rien. Il pourrait toujours dire qu'il avait profité à fond de sa jeunesse. Et puis, advienne que pourra, comme on dit. « Vous êtes debout bien tard. » Lança-t-il pour faire la conversation. A vrai dire, il n'avait pas vraiment l'habitude de croiser du monde à ces heures là, tout du moins, pas lorsqu'il n'était pas en sortie dans un bar ou quelque chose du genre. « Ou bien tôt ? Je ne sais pas trop en fait haha. » Un petit rictus joueur. Toujours assis, il avait posé ses crayons au centre de son carnet, mettant son dessin en pause.

Il fallait croire que Misha n'était pas le seul à apprécier la tranquillité de Paris de nuit et trouver que les petites heures du matin étaient le moment parfait pour sortir se promener. De toute évidence, cette jeune femme qui venait d'apparaître dans le tableau était de cet avis également. Après tout, ces atmosphères nocturnes avaient toujours quelque chose de différent. De, quelque part, presque mystique. Et l'esprit plein de couleurs et de croquis, cette visite imprévue rajoutait une nouvelle variante, de nouvelles teintes dans la toile de la nuit. « le temps file toujours plus vite lorsque l'on sort la nuit. Je suis d'accord. » Il lui adressa un petit sourire, pensif. Il était amusant de voir comme le temps avait ce pouvoir de s'écouler différemment en fonction des situations. Une poignée de minutes pouvait donner l'impression de durer plusieurs heures lorsque l'on cherchait - en vain - à trouver le sommeil. Tout comme plusieurs heures avaient ce-même pouvoir de s'écouler en l'espace de quelques minutes à d'autres moments.  « Oui. J'aime bien sortir dans ces heures là. C'est étonnant de ce dire que ces mêmes lieux sont noirs de monde dès que le soleil se pointe, non ? Pourtant, je les trouve bien plus intéressant lorsqu'ils sont sous la lumière de la lune et des étoiles. » Les contrastes de couleurs étaient différents. Plus harmonieux. Et les teintes qui dansaient pour lui venaient se marier aux lumières sombres de la nuit, leur donnant un éclat nouveau.

« Bien-sûr. Je vous écoute. » Le rouquin avait accompagné sa réponse d'un petit mouvement du chef. Il ne s'était pas vraiment attendu à une question aussi poussée. Il sourit une nouvelle fois, avec douceur, à la jeune femme.  « Voulez-vous vous asseoir ? » Après tout, ils semblaient parti pour discuter d'autres choses que du beau temps. Et l'étudiant se mit alors à réfléchir, il était plutôt du genre à ne jamais se prendre la tête. C'était même l'un de ses crédos principaux. La vie était toujours plus simple lorsque l'on ne se prenait pas la tête. Il laissa s'échapper un petit soupir, laissant son regard se perdre dans le ciel nocturne. D'un autre côté, la situation avec ses parents n'avait pas toujours été facile, et ces derniers demandaient encore, de temps à autre, une participation de sa part dans un domaine que leur fils n'avait jamais aimé.  « Je ne sais pas vraiment. Oui probablement. Comme tout le monde je suppose ? Est-ce que pour autant tout est forcément justifié ? Je ne pense pas que je fais parti des plus grands oppressés. » Il laissa s'échapper un petit rire avant de reprendre.  « Comme tous les gamins, je me suis senti oppressé par mes parents. Je trouvais ça injuste qu'ils décident de tout pour moi. Qu'ils ne veuillent pas me laisser être moi-même. Je suppose que tous les ados ou presque sont passés par là. »

Oui. Son mantra avait toujours été de ne pas se prendre la tête. Pourtant, il y avait bien des choses pour lesquelles on lui avait prit la tête. Sa synesthésie pour commencer. Et ne s'était-il pas tout autant prit la tête de lui-même lorsqu'il avait été question de sa sexualité ? Il se mordit légèrement la lèvre, plongé dans ses pensées. Son regard résolument fixé sur le ciel, ne quittant plus des yeux la figure pâle de la lune.  « De l'injustice, il n'y en a de partout. Les différences sortent des normes. Les différences ne sont pas toujours comprises. C'est injuste. » Les rires, les moqueries et les insultes lorsqu'il avait été question de parler de sa faculté à voir plus que la norme avaient été oppressant. Faire comme si tout cela n'existait pas, jouer au gamin normal avait été oppressant également. Nouveau soupir, ses yeux s'arrachèrent enfin à leur contemplation pour se tourner vers le visage de l'autre oiseau de nuit.  « Pour poser de telles questions, je suppose que votre réponse à ces dernières est un oui ? » Misha jaugea le visage de la jeune femme quelques secondes de plus avant de reprendre.  « Vous n'êtes pas obligé de répondre d'ailleurs haha. »

C'était original comme première approche néanmoins. Qui plus est lorsque l'on se retrouvait face à un parfait inconnu. Mais le rouquin ne s'en formalisa pas outre mesure. La jeune femme avait certainement ses propres raisons de lancer des questions comme celles-ci.  « Je peux vous poser une question à mon tour ? » Le sourire du jeune homme se fit plus taquin.  « Accepteriez vous que l'on se tutoie ? Après tout nous devons avoir le même-âge non ? Et puis, il fait nuit, nous sommes tranquilles, a quoi bon s'embêter avec des normes sociales ? » Ou peut-être que le fait de vouvoyer une fille qui devait avoir son âge lui semblait étrange. Et d'être vouvoyé par une fille de son âge tout autant.

Le moment était comme sorti hors du temps. L'atmosphère était calme, la lune douce et les pensées vagabondaient dans l'air mélancolique de cette nuit parisienne. Misha sourit doucement aux quelques petits mots de la jeune femme, une moue pensive. Il n'est pas vraiment certain de les mériter, ces quelques mots. Après tout, il est loin d'être le plus à plaindre. S'il garde quelques rancœurs contre ses parents de l'avoir poussé à faire des études, n'est-ce pas tout simplement une preuve de son immaturité et de son désir de profiter de sa vie tranquille ? Après tout, il est loin de venir d'une famille en difficultés. Il a toujours eut tout ce qu'il voulait. Quelques disputes dans le cercle familial étaient de bien moindre maux qu'une grande partie de l'humanité. Mais peut-être était-ce simplement dans la nature humaine que de s'ennuyer de quelques broutilles. Des conflits entre un fils et ses parents qui ne veulent que le mieux pour lui. L'incompréhension face à ce qui sortait des normes. Tout cela était habituel. Alors, finalement, il s'était contenté d'accompagner son léger sourire d'un haussement d'épaules avant d'étendre ses bras pour s'étirer.

Le jeune homme se rend bien compte que le renvoie de la question ne met pas sa camarade nocturne dans une situation des plus faciles. Il avait bien tenté de lui dire qu'elle ne devait pas se sentir contrainte à répondre, mais il semblerait qu'elle n'en tint pas compte et qu'elle resta plongée dans ses pensées. Et finalement, sa réponse, bien que brève, fit se serrer le cœur du rouquin. « Le bien n'est assurément pas partout. Et probablement encore moins là où nous sommes nombreux. » Et Paris était peuplée par des millions d'habitants et, plus que cela, il avait fallut qu'un vilain ridicule s'amuse à retourner la population contre la ville même. « Je ne ferais pas l'affront de dire qu'il faut garder espoir ou un truc comme ça.  Mais le monde n'est ni tout noir, ni tout blanc. Les couleurs, ça se mélange et il y en a un panel si grand qu'aucune sont exactement les mêmes. C'est certainement ça le plus difficile. Faire la part des choses. Apprendre à comprendre et à accepter les nuances. »

La jeune femme s'était assise non loin de lui et avait accepté sa requête de se tutoyer, Misha l'en remercia doucement. Et il lui sourit une nouvelle fois avec sincérité, l'observant dans la faible luminosité tandis qu'elle observait toujours les étoiles. « Haha, je suis content que ma présence te fasse plaisir alors. C'est réciproque d'ailleurs. » Ce n'était peut être pas pour les mêmes raisons cela dit. Mais cela n'empêchait pas que l'instant était appréciable. « Simplement parler avec quelqu'un, dans le calme, ce n'est pas si mal. Et puis, ce n'est pas si souvent qu'on croise des oiseaux de nuits par ici. » Il aimait venir dessiner et peindre dans les lueurs nocturnes tout autant qu'il appréciait la compagnie calme de cette visite imprévue. « Et je m'appelle Misha, du coup. Et pas de soucis, ca me ferait plaisir de pouvoir discuter avec toi après ce soir. » Il rattrapa son téléphone, appuya quelques fois sur l'écran pour le sortir de la veille pour finalement présenter le nom de son compte instagram ou les quelques photos qui apparaissent en première représentaient principalement son chien. « Je peux te donner mon numéro aussi si tu veux. C'est comme tu préfères. »