J’écoute Ethan me chantonner une mélodie, après m’avoir avoué faire des études en musique. J’avoue avoir été légèrement hypnotisé par sa chansonnette. Ce qui me fait penser à faire plus de dessins inspirés de chansons. C’est satisfaisant, ça donne des idées qu’on n’aurait pas autrement et… enfin bref.

« C’est un beau projet ! Je te souhaite d’y arriver, Ethan ! »

Et ce n’est pas parce qu’on vient de se rencontrer que je ne le pense pas ! Le blondinet me demande ensuite quelle est ma passion et je souris d’un air énigmatique, l’air de ne pas vouloir lui dire. Oh, bien sûr ce n’est qu’une petite plaisanterie, je n’ai jamais caché ma passion pour le dessin, qui est littéralement l’une des seules choses qu’il me reste de ma vie d’avant. Enfin, ça je ne vais pas le faire remarquer.

« Nous sommes deux artistes ! Juste pas la même voie, puisque là où tu chante, moi je dessine. »

Et comme lui avec sa chansonnette, j’attrape un stylo bille dans mon sac, avant de griffonner un mini portrait d’Ethan, façon semi-réaliste, sur ma serviette de table. Une ombre passe alors au-dessus de nos têtes, et je relève la mienne. Oh ! Le serveur est arrivé. Il dépose le plateau sur la table avec un sourire, non sans un regard sur mon gribouillis. Il sourit, avant de nous souhaiter un bon appétit, puis de s’éloigner. Bon hé bien ma foi, goûtons !

Je prends un taiyaki original, puisque je ne m’étais pas embêté à choisir un goût, voulant d’abord connaître celui des originaux. Je ris légèrement lorsqu’Ethan s’exclame de manière plus qu’enjouée à quel point il est heureux de manger des taiyakis. Quant à moi, je croque dedans sans un mot. Je me laisse envahir par le goût sucré de la pâte de haricot et de l’espèce de gaufrette. Je ferme les yeux de plaisir, mâchonnant mon taiyaki. Et alors que je m’apprête à faire un commentaire, Ethan me demande ce que j’en pense.

« C’est délicieux ! Je comprends pourquoi tu aimes ça, c’est sûr que je reviendrai ! »

Je termine mon poisson, avant de m’essuyer la main sur une autre serviette, livrée avec les taiyakis. Je termine alors rapidement mon petit brouillon au stylo, avant de le glisser vers Ethan, l’air ravi. Même si le stylo est ineffaçable, c’est toujours un bon challenge ! Et je trouve qu’il est pas mal, même si certains détails méritent correction. M’enfin, serviette et stylo, c’est pas le meilleur combo pour obtenir un dessin parfait !

Mon âme d’artiste me pousse toujours à observer les gens à chercher la touche chez eux. Sans doute est-ce un don, mais parfois, je remarque des choses que j’aurais voulu éviter. Pourquoi ? Parce que voir la pointe d’amertume en Ethan me fait me demander ce que j’ai dit de mal. Parce que j’aimerais comprendre, alors que je ne veux pas rentrer dans sa vie privée. On vient à peine de se rencontrer. Même s’il a l’air sympa, on est encore que des connaissances. Malgré tout, je ne demande pas d’explications. Une part de moi me le reproche oui, mais je ne veux pas le mettre mal à l’aise. Surtout qu’il a vite tenté de la faire partir.

Alors la discussion s’enchaîne presque normalement. Il me demande quelle est ma passion, et j’y trouve peut-être le moyen de m’excuser en dessinant un portrait de lui-même, situé entre le manga et le réaliste. Le serveur finit par arriver, et alors qu’il me coupe dans mon dessin, nous finissons par manger les taiyakis. Ethan semble ravi de m’avoir fait découvrir cela, et c’est à cet instant que je ressens une vague sensation familière. Elle ne dure cependant pas et je termine mon dessin, avant de lui montrer. Son sourire joyeux, même si elle ne me fait pas oublier ma bourde précédente, me rappelle que c’est sûrement l’une des raisons qui fait que j’aime particulièrement dessiner pour les gens.

« Content que ça te plaise ! C’est pas grand-chose, mais c’est toujours agréable de dessiner d’autres sujets. »

Puis vient le moment de payer, et Ethan achète un supplément de taiyakis alors que je me retiens de rire, amusé. Il aime vraiment beaucoup ces p’tits poissons ! Nous reprenons la marche, en direction du pont, profitant du soleil et du beau temps. J’observe les passants, avant de me retourner vers Ethan. Celui-ci s’accoude la barrière et je l’imite, alors que nos regards plongent dans l’eau de la Seine. Il me demande alors s’il peut chanter et je hoche la tête pour lui signifier que ça ne me dérange pas. Il entonne alors doucement un air calme, puis joyeux. Je pose ma tête entre mes bras, cachant mon regard perturbé. Il ne parle pas en français, pourtant je comprend ce qu’il dit, aussi bien que s’il parlait dans notre langue.

J’écoute ses mots, les traduisant sans effort. C’est incroyable comme une chanson dans une autre langue peut nous faire perdre tous nos repères. Si je ne le comprenais pas, j’aurais cru que la chanson était heureuse. Pourtant non. Elle est sombre et mélancolique, parle de dépression et de mort, si je ne me trompe pas. Je ne coupe pas Ethan, me contenant, inlassablement, de penser à ce passé que j’ai perdu. Quand est-ce que j’ai appris cette langue ? Je ne m’en rappelle même pas. Saurais-je la parler, si j’essayais ? Traduire est si facile, mais j’ai l’impression que les mots se bloquent et se cantonnent à mon esprit.

Et alors que je pense à tout cela, un mouvement dans l’eau me fait me redresser brutalement. J’ai rêvé, hein ?! Ils n’étaient pas là, non… J’observe l’eau, scrutant ses profondeurs. Je souffle doucement, avant de fermer les yeux. Bien sûr que ce ne sont que des illusions. Comment pourraient-ils me suivre jusqu’ici ? Ils ne viennent que dans mes rêves. Je repose ma tête à sa place, continuant d’écouter les paroles d’Ethan. Et lorsque sa chanson se termine, je me permets d’ajouter :

« C’est beau. Triste, mais beau. Et le rythme est vraiment intéressant. C’est toi qui l’as inventée ? »

Je n’ai pas osé le regarder en lui demandant tout cela. Je ne sais pas s’il a chanté ça par envie ou parce qu’il ressent cela, mais je n’ose pas plus lui demander que le regarder. Je sais que mes yeux transpirent les doutes et la peur. Je ne veux pas lui infliger ça. Je secoue la tête, me ressaisissant. Je me décide enfin à tourner le nez vers lui, ayant retrouvé un sourire et un regard naturel.

« Parfois les émotions sont difficiles à faire passer, mais le résultat en vaut la peine ! »

Et je sais ce que je dis, en dessin, c’est pareil. Même si ça ne se présente pas de la même manière.

Ethan me répond par l’affirmative lorsque je lui demande s’il a écrit cette chanson, bien que le « en quelque sorte » me fasse tirer un coup d’œil curieux en sa direction. Je remarque qu’aucun de nous n’ose regarder l’autre, avant de me décider à faire le premier pas. Mes mots semblent lui provoquer de la surprise, comme s’il n’était pas sûr de tout cela. Il retourne le regard vers l’eau, souriant. Ses mots à lui me font tiquer. Un appel à l’aide ? J’observe le point qu’il regarde, repensant à ces dessins sombres, que j’ai déchirés. Les aurais-je recollés pour cette même raison ? Non… C’est différent.

Je soupire. On a l’air malins tous les deux, à se comporter comme des âmes en peine, sans vouloir l’assumer. Une part de moi a envie de parler, de partager mon ressenti et d’écouter le sien. Un peu comme deux êtres perdus qui se confieraient l’un à l’autre, qui partageraient leur vie. Mais l’autre partie de moi… Elle refuse de se plaindre, de demander à être accompagnée, de montrer sa faiblesse. Et puis elle hésite à lui demander. Répondrait-il ? Le prendrait-il mal parce qu’on ne se connaît pas vraiment ? Et je reste là, bêtement, indécis.

Un mouvement d’Ethan me sort de mes pensées. Il regarde l’heure, avant de me dire qu’il doit y aller. Je souris, cachant ma déception. Je n’aime pas laisser les gens sur ce genre de discussion. Mais ai-je vraiment le droit de poser toutes ces questions, de me croire capable de l’aider, alors que je ne sais déjà même pas comment m’aider moi ?

« D’accord, j’espère qu’on aura l’occasion de se revoir. Merci pour les taiyakis. »

Il tourne les talons avant de me saluer une dernière fois, terminant par un « mon pote ». Je reste là, surpris, le regardant s’éloigner. Ah. Je me sens con.

« O-ouais… À plus Ethan. »

La fin de ma phrase s’est un peu perdue dans le vent, alors que mon regard est fixé sur dos. Ouais, ça y est, je me sens vraiment stupide. Je soupire, avant de jeter un dernier regard sur la Seine. Un jour je lui parlerai. Si on se revoit. Et si j’arrive à parler. Je fais demi-tour, mes affaires sur le dos. J’aimerais bien dessiner, là. Je vais chercher mes affaires et aller au parc.