Coup de théâtre ! [PV Manon]

Il n'y a pas un seul endroit que Manon ne connaisse pas, au collège. Ca fait quatre ans qu'elle passe ses journées ici, elle serait capable d'en faire les plans les yeux fermés. En fait, Manon est un peu la reine de la récrée. Avec sa personnalité éclatante voir éblouissante, elle est comme la lumière qui attire les moucherons les nuit d'été. Si la comparaison est peu flatteuse, c'est pourtant le ressenti de l'adolescente, alors qu'elle est, comme tous les jours, entourée d'élèves de tout âge. Elle les connait tous, bien sûr, mais Manon n'en considère aucun comme de vrais amis à qui elle pourrait tout confier. Son journal lui suffit.

Alors voilà, Manon avait appris à se trouver des planques pour être loin de ces personnes qui aiment tant trainer avec elle sans même lui parler. S'ils la connaissaient vraiment, elle serait sans doute bien moins populaire. Mais Manon joue si bien la comédie, elle est capable d'être la personne adaptée à n'importe quel interlocuteur. Cependant, cet après-midi, l'adolescente n'a pas envie. Elle veut juste être au calme pour se reposer. Si personne n'a besoin d'elle, qu'on la laisse souffler cinq minutes.

Malheureusement, le destin n'en a pas décidé ainsi. En effet, si Manon fédère autant les collégiens, c'est également grâce à son altruisme. Depuis quatre ans, Manon veille au bonheur de tous. A son échelle, les réformes sont faibles. Mais, elle s'arrange pour que personne ne soit seul ou victime de harcèlement. Bien entendu, elle ne peut pas tout voir ou savoir et c'est là que sa cour de suivants peut s'avérer utile. Elle a donc des "espions" dans chaque classe !

Et c'est ainsi qu'on l'informe d'une terrible injuste se produisant sur son territoire ! Manon arrive sur les lieux du crime au moment où un garçon pousse une fille par terre. Plissant les yeux, elle reconnait le garçon qui est dans la même classe qu'elle. En tant que déléguée, Manon va se faire un plaisir de l'enguirlander. Quant à la fille...impossible de ne pas la reconnaitre non plus, avec ses tenues pour le moins...surprenantes. A sa grande honte, Manon ne lui a jamais parlé, même quand elle est seule. C'est la seule personne qui n'a pas pu profiter de sa charité. Et aujourd'hui, elle a l'opportunité d'y remédier. D'être l'héroïne qu'elle a toujours rêvé d'être.

"Ca suffit, Mathis, laisse la tranquille !" s'exclame-t-elle en se postant devant Gabrielle. C'est pas sympa de s'en prendre à elle. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'ils te fassent.
- Elle m'a foutu un coup de queue ! C'est elle qui a commencé", réplique le garçon.

Un coup de queue ? Manon cligne des yeux, perplexe. Elle se tourne vers la victime, qui s'était relevée, et constate alors qu'elle a effectivement une queue au niveau de la taille. J'aime beaucoup, se dit-elle intérieurement. Sauf que l'heure n'est pas à la contemplation de son talent en couture mais à la justice !

"Est-ce que tu t'es excusée ?, demande Manon à Gabrielle avec un sourire pour l'encourager à dire la vérité.

Les mains sur les hanches, Manon observe la fille-requin faire la moue alors qu'elle fuit son regard. A-t-elle quelque chose à se reprocher ? Le coup de queue était volontaire ? Mais finalement, elle avoue s'être excusée et il n'en faut pas plus pour la rousse. Elle se retourne aussitôt faire Mathis et pointe un doigt accusateur -heureusement que maman ne la voit pas faire ça, elle dirait que c'est très malpoli- vers lui en fronçant les sourcils.

"Tu mens ! C'est mal. Je suis sûre que c'est toi qui a commencé, c'est toi qui lui doit des excuses.
- Et puis quoi encore ? Jamais j'fais des excuses à cette folle."

Outrée par le comportement du garçon, Manon reste sans voix un moment. Finalement, les joues rougies par la colère, elle ouvre la bouche pour répliquer mais les surveillants arrivent en demandant à l'attroupement qui s'était formé de se disperser. Elle n'avait même pas fait attention qu'elle avait été suivie par les autres élèves. Son camarade ne demande pas son reste et file aussitôt rejoindre ses amis, sous le regard mécontent de la justicière. Celle-ci est déçue de la tournure des événements. Il ne s'est pas excusé pour son affront.

"Merci de m'avoir défendue. Je m'appelle Gabrielle, et toi ?
- Je t'en prie, c'est normal. Je m'appelle Manon, enchantée, Gabrielle."

Manon lui retourne son sourire, les nuages de la colère s'étant dispersés, elle a de nouveau le regard brillant. Elle lui fait signe de marcher avec elle vers un banc.

"Désolée de ne pas être intervenue plus tôt et de ne pas avoir réussi à le faire s'excuser. Il ne t'a pas fait mal ?"

Le visage de la rousse se plisse d'inquiétude. Selon la réponse, elle est prête à retrouver l'agresseur pour le trainer jusqu'à Gabrielle par l'oreille et lui faire sortir ses maudites excuses.

"En tout cas, sache que j'aime beaucoup tes habits et j'admire ton courage pour assumer ton style."

Manon avait parlé sans la moindre hypocrisie et avec son habituel honnêteté. Elle est parfaitement sincère dans ses propos et n'a pas honte de lui dire ce qu'elle pense de Gabrielle.

Je ne comprends pas pourquoi les gens ressentent le besoin de s’en prendre en autre. Je ne dis pas qu’il faut qu’on soit tous gentils et avenants, c’est une vision naïve. Mais, il ne faut pas forcément être le contraire. Le pire, c’est que je ne peux pas mettre ça sur le compte de l’âge, même les adultes sont méchants. La preuve avec Papillon et les autres vilains.

Tant qu’on ne trouvera pas un remède miracle pour guérir de la noirceur d’âme, il y aura toujours des victimes comme Gabrielle. Mais tant qu’il y aura des héros comme Chat Noir, il y aura toujours de l’espoir !

Gabrielle ne m’en veut pas d’être intervenue tardivement. Ca me rassure. J’aurais aimé faire plus pour elle mais si elle n’est pas blessée, c’est le plus important. N’empêche, il faudra que je touche deux mots à ce crétin de Mathis. Déjà qu’il est turbulent en classe alors si en plus il s’en prend à d’autres élèves, c’est le pompon !

Quand je lui fais part de mon avis concernant ses habits, je vois ses yeux s’illuminer. La pauvre, elle ne doit pas avoir l’habitude qu’on la complimente. C’est sûr, c’est différent. Dans la vie de tous les jours, je ne pourrais pas porter ces vêtements (surtout parce que je ne suis pas spécialement fan des requins ; une queue chat par contre !) mais sur elle, ça va très bien.

« Bien sur que c’est vrai ! C’est toi qui l’a fait ? » je demande en indiquant l’appendice. C’est du très beau travail, d’aussi bonne qualité que les costumes de théâtre que j’utilise, voir même mieux.

Quand elle me donne son serre-tête, je ne peux m’empêcher d’écarquiller les yeux. Qui se balade avec ça dans son sac ? Mais finalement, j’éclate de rire avant de le mettre sur ma tête.

« Merci ! C’est très mignon. Tu en aurais un avec des oreilles de chat ? »

Comme elle esquisse un geste pour partir, je la retiens en l’attrapant par le poignet. Pitié, qu’elle ne me laisse pas. Je n’ai pas envie de retourner avec les autres, de les entendre faire leurs remarques. Je préfère mille fois l’honnêteté de la fille aux cheveux blancs.

« Attend ! Tu ne veux pas rester avec moi ? La récrée n’est pas encore finie, on a le temps de papoter un peu, si tu veux. »

Je ne te prends pas en pitié, Gabrielle, j’ai sincèrement envie de faire ta connaissance. J’espère que tu le comprends. Je lui souris pour lui montrer ma bonne foi.

Quand Gabrielle secoue la tête pour dire qu’elle n’a pas fait elle-même son vêtement, je fais la moue. J’étais prête à l’engager comme couturière personnelle. Même si maman fait du très bon travail quand même ! (JTM môman !)

Lorsque ma camarade sort un deuxième serre-tête de son sac, j’écarquille les yeux, incrédule. Mais, elle en a encore combien, là-dedans ? C’est le sac de Hermione ? C’est une poche inter-dimensionnelle qui donne sur un univers alternatif de stockage ? Ce serait si cool ! Mais complètement irréaliste. Je jette quand même un coup d’oeil vers le sac, histoire de voir si j’aperçois quelque chose. Mais, elle le referme en tendant les oreilles de chats et j’accepte ce nouveau cadeau avec plaisir.

« Merci ! Décidément, c’est la caverne d’Ali Baba, ton sac », je dis en rigolant. Je change les oreilles de vache par celle de mon animal fétiche et je pose les mains sur les hanches, fière de mon allure féline. Je ressemble presque à Chat Noir, maintenant !


«  Tu risques d'avoir la honte si on te voit traîner avec moi.
- Ne t’inquiète pas pour moi. »

J’hausse les épaules. Je m’en moque un peu, si on peut me laisser en paix quelques heures. Et puis, je sais que ça n’entachera pas ma réputation. Je suis ce genre de personne qui peut trainer avec n’importe qui sans que ça ne l’impacte réellement. Au contraire, ça pourrait leur donner envie de passer du temps avec Gabrielle aussi, par effet de mode ou mouvement de foule, je ne sais pas. Bref, ça pourrait être positif pour elle, au final.

« Oui, j’adore les chats ! C’est mon animal préféré. Je les trouve si gracieux, si nobles. Ils sont à la fois indépendant et reconnaissant pour nos soins. »

Je me mords la lèvre, gênée. Elle me demande si j’aime les chats et je commence à disserter sur eux. Ça va plus, ma pauvre. Je suis complètement folle, en fait.

« Moi aussi, j’ai un chat : Kiki. Il est tigré avec des yeux verts. Et toi ? »

En discutant avec elle, Gabrielle semble tout à fait normal et gentille. C’est vraiment dommage que personne ne soit venue la voir avant. Elle doit se sentir si seule, la pauvre.