Le fruit du (b)hasard [PV Théoxane]

“le fruit du bazar.” Théoxane & Nino

Nino n'apprécie pas forcément la fac. Ce n'est pas tant l'environnement qui le met si mal à l'aise, mais plutôt les études en elles-mêmes, parce qu'il ne sait vraiment pas ce qu'il fait là et qu'il a juste une envie, c'est de tout abandonner et de partir loin du monde de l'école. La seule chose qui le motive, c'est sa mère – qui le tuerait sûrement sur place si il lui disait qu'il arrêtait les cours. Alors il s'accroche comme il peut, si on peut appeler ça "s'accrocher" parce que les résultats de ses récents examens vous le diront, ça n'a rien de glorieux.
Il patauge et suit le courant sans trop savoir où il va. De ce fait, maintenant que le second semestre de l'année débute pour la plupart des étudiants, lui y compris, Nino s'est dit que, quitte à foirer la première moitié de l'année, autant continuer sur sa lancée pour la deuxième.
Pour l'instant, il nage encore dans la mélasse et, dans un élan de folie, il s'est pris des options qui n'ont aucun sens vis-à-vis de la filière dans laquelle il se trouve, mais qui ont au moins une chance de l'intéresser. Ce n'est pas bien compliqué de trouver une matière qui l'intéresse plus que l'informatique, ceci dit...

C'est ainsi qu'il se retrouve de l'autre côté de la fac, dans un département n'ayant aucun rapport avec le sien, dans des couloirs qu'il n'a encore jamais empruntés et dans lesquels il se perd déjà. Il s'aide surtout du plan sur son portable pour trouver sa salle, vraiment peu à l'aise à l'idée de demander son chemin à des gens qu'il croise.
Qu'importe, de toute façon il finit par trouver la salle tout seul, tombant enfin sur la pancarte qui indique le même numéro noté sur son emploi du temps. Malheureusement, il a quelques minutes de retard, minutes précieuses perdues à chercher cette foutue salle, et cela l'oblige à faire la seconde chose qu'il redoute le plus à l'université : entrer dans une classe remplie de personnes inconnues qui le fixeront toutes sans exception comme si il était une bête de foire.
Et pas manqué. Un frisson remonte le long de son échine alors qu'il toque, qu'il ouvre la porte et qu'il se retrouve face à une vingtaine de paires d'yeux globuleux. Il s'empresse de les ignorer et de mettre son casque audio autour de son cou, tournant la tête vers le professeur et lui adressant un sourire timide :
— Désolé pour mon retard, marmonne-t-il.
Le professeur hoche la tête, visiblement compréhensif, et lui fait signe d'aller s'asseoir sans dire un mot. Sans plus de cérémonie, Nino traverse la classe, cherchant des yeux une place vers le fond de la salle, par pur réflexe.

Finalement, il s'arrête à une rangée où se trouve une jeune fille affublée d'une casquette – comment ça, elle a le droit d'en porter une et pas lui ? L'injustice – et tire la chaise vide à ses côtés pour s'y asseoir, sans vraiment demander son avis. Il l'aurait fait si il n'y avait pas un silence complet dans la classe, promis juré... Enfin il abuse, il y a un peu de grabuge au fond en vérité, mais bref. Et puis de toute façon elle l'aurait déjà chassé si elle ne voulait pas de lui ou si la place était déjà prise, non ?
Alors qu'il sort ses affaires – deux ou trois feuilles et un stylo qui traînait dans le fond de son sac, on a vu plus studieux mais il a oublié sa trousse chez lui –, il jette un regard discret vers la jeune fille à côté de lui, comme intrigué, puis vers ses notes, un peu embarrassé. En écoutant le professeur parler, il a l'impression de débarquer d'une autre planète, ne comprenant déjà pas grand-chose à ce qu'il raconte. Et dire que c'est le premier cours...
Il se penche alors vers sa voisine, qui semble d'abord l'ignorer mais tant pis, puis il lui chuchote :
— Excuse-moi, vous avez déjà eu ce cours-ci au premier semestre ? Je débarque d'une autre filière alors... explique-t-il à demi-mot, gêné.
En toute honnêteté, d'un premier regard, cette fille n'a pas l'air bien méchante. Nino n'est pas doué pour juger les gens, mais il ne se sent pas aussi mal à l'aise avec elle qu'avec d'autres, surtout à la fac... Peut-être parce qu'elle est dans le même cas que lui, qui sait ? Alors, dans une tentative un peu désespérée, il lui sourit amicalement, à moitié avachi sur sa table pour ne pas être pris en flagrant délit de bavardages, trente secondes après son arrivée ce serait un peu bête.
— Sympa ta casquette d'ailleurs. Je m'appelle Nino, et toi ?
Elle pourrait tout aussi bien l'envoyer bouler, maintenant qu'il y pense, mais qui ne tente rien n'a rien... Si il ne peut pas améliorer ses notes à l'université, il peut au moins tenter de sauver sa vie sociale ici, pas vrai ?

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“le fruit du bazar.” Théoxane & Nino

Si Nino est connu pour ne pas être spécialement timide avec les gens – de son âge, du moins –, bizarrement, à la fac, il patauge autant avec ses cours qu'avec la sociabilité. Il ne sait pas si c'est dû à l'endroit, parce qu'il s'y sent mal et donc il n'a plus la même motivation pour se faire des amis qu'ailleurs, ou si c'est parce qu'on le voit rarement en cours et, de ce fait, les gens de sa promotion ont eu le temps de se lier d'amitié sans lui, le pauvre vilain canard laissé de côté. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même dans tous les cas, à vrai dire ça ne l'atteint pas plus que ça puisqu'il a des tonnes d'amis en dehors de l'université, mais tout de même. Si il peut se faire quelques potes à deux ou trois cours, histoire de ne pas passer sa journée entière seul comme un idiot à la bibliothèque ou à la cafét', c'est toujours plus sympa.

Il y a aussi le fait que, persuadé d'avori un radar à "gens cools", Nino ne s'est pas tant intégré dans sa classe. Disons que ses camarades n'ont pas l'air d'être dans le même délire que lui, et ce n'est pas du tout pour les juger, seulement pour se faire une idée de ce que donnerait le reste de sa scolarité si il restait avec des personnes de leur genre. En résumé, il a vite préféré ne pas imaginer. Néanmoins, sa voisine de table actuelle a fait biper ce fameux radar, et non, ce n'est pas seulement pour sa casquette – ou peut-être que si, mais il ne l'admettra sûrement jamais.

— Non. Nous avons étudié la base de la musicologie au premier semestre et le professeur compte mettre en application ce que nous avons appris.

Il reste un instant hébété, sans trop savoir pourquoi, non sans une grimace à peine visible. Super, on l'a donc laissé choisir une option qui nécessite des bases qu'il n'a clairement pas, ce semestre va être fun aussi. Encore un cours qu'il va finir par déserter, à tous les coups.

Elle lui adresse un petit sourire, et il n'arrive pas à savoir si c'est pour le rassurer ou si elle se fout un peu de sa poire, ayant certainement compris qu'il allait vite être paumé. Dans le doute, il le lui rend, mais ne réussit pas à retenir le soupir décontenancé qui passe la frontière de ses lèvres au moment où elle détourne le regard. Finalement, elle se présente à son tour, le surprenant un peu puisque, même si elle a l'air sympa, elle semble cependant un peu plus réservée que lui, alors il s'attendait à ce qu'elle évite de bavarder, surtout en plein cours.

Sans pouvoir s'en empêcher, Nino se met à pouffer de rire à l'entente de son "Yo" qui, à ses oreilles, sonne comme une blague tout à fait ironique, un truc pour le faire marrer – et c'est réussi – parce que, décidément, il ne peut pas croire que quelqu'un utilise encore ça au premier degré à leur époque.

Il s'arrête vite lorsque le professeur réprimande la fameuse Théoxane, et il ne peut s'empêcher de jeter une œillade vers elle alors qu'elle retire sa casquette, en bafouillant un "je m'excuse" si poli qu'il contraste totalement avec son "Yo" d'il y a quelques secondes, de quoi le faire rire une seconde fois, quoiqu'un peu plus discrètement.

— Je kiffe ton prénom, lui chuchote-t-il soudainement qu'elle sort son PC, qu'il reluque alors avec des yeux illuminés le mac dernier cri tel un enfant qui découvre un trésor ; c'est un peu le cas, en vérité.

— Hum... Nino... Vous, non tu. Tu viens de quelle filière ?

Sans cacher son étonnement, Nino tourne la tête vers elle, s'étant redressé entre-temps mais restant à moitié penché, comme pour se cacher derrière l'étudiant assis devant lui. Il ne semble pas vraiment tiquer sur le "vous" qu'elle a vite corrigé, se contentant d'esquisser un rictus gêné.

— Ah, je suis en informatique de base, explique-t-il en chuchotant. Tu peux te moquer, même moi je ne sais pas trop ce que je fous ici. Il hausse une épaule, cette fois-ci avec un sourire plus amical. Mais je me suis dit que je pouvais tenter quelque chose qui m'intéresse, pour une fois.

Il fait mine de noter le titre, puis ce qu'explique le professeur, notant seulement ce qu'il entend puisqu'il n'écoute déjà que d'une oreille. Faut dire que ce n'est pas vraiment le genre de choses qui attirent son attention.

— Tu fais de la musique du coup, je suppose ? l'interroge-t-il, intrigué, parlant toujours à faible volume. D'ailleurs c'est pour faire quoi, cette filière ? Prof de musique ?

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“le fruit du bazar.” Théoxane & Nino

— Je peux t'envoyer les cours du premier semestre si cela t'arrange, voire te les expliquer à la bibliothèque.

Les yeux écarquillés, Nino semble alors aussi surpris que reconnaissant. D'habitude il n'aime pas vraiment aller à la bibliothèque pour étudier, mais c'est toujours plus plaisant d'y aller avec quelqu'un que l'on connaît, et surtout sympathique, histoire de se motiver un peu plus. D'autant plus pour une matière qui peut l'intéresser – enfin, il ne faut pas qu'il parle trop vite, en général tout ce qui touche aux études finit par l'ennuyer plus qu'autre chose, mais il préfère être optimiste. Et puis, une proposition aussi amicale ne se refuse pas, même si c'est juste les cours envoyés.

— Ce serait vraiment top de ta part, je te remercie ! Attends, bouge pas.

Il soulève sa feuille pour récupérer celle en-dessous, vierge, et s'empresse d'en déchirer un morceau pour venir y griffonner une ligne et ce qui semble être une série de chiffres. Tout en faisant cela, la jeune fille à ses côtés lui répond à propos des instruments de musique qu'elle pratique, et il ne peut s'empêcher de lui jeter une œillade aussi stupéfaite qu'admirative. Il aurait aimé savoir jouer autant d'instruments qu'elle, mais force est de constater qu'il manque de temps, de moyens, et surtout de motivation. Il fait partie de ces gens qui lâchent vite l'affaire devant le solfège – alors qu'à l'inverse, il peut s'amuser pendant des heures sur son logiciel beatmaker, ayant appris toutes les fonctionnalités en autoditacte parce que... pourquoi pas ?

— Tu chantes aussi ? C'est énorme. Tu fais des covers sur Youtube, quelque chose comme ça ?

Dans le métier qu'il convoite réellement, Nino le sait mieux que personne, il faut avoir des contacts de partout. Heureusement pour lui, il est plutôt sociable, et il est rare qu'il tombe sur des gens qui ne l'apprécient pas – ou alors ils ne le montrent pas –, de ce fait il a déjà un répertoire conséquent mais il ne cracherait pas du tout sur une possible collaboration. Après tout, même si le style d'instruments qu'elle joue jure un peu avec ce qu'il fait lui, ça peut quand même fonctionner, et au pire il y a le chant... Pense business, toujours.

— Et toi alors, pourquoi es-tu passé d'informatique à musicologie ? Ce n'est pas vraiment la même chose.

Sans se retenir, Nino fait la grimace, jouant avec le stylo qu'il a dans la main en détournant le regard vers le prof qui continue de parler de choses insignifiantes – du moins à ses yeux, expliquant pourquoi il ne note déjà plus rien depuis quelques minutes.

— Hm, disons que je veux bosser dans la musique, mais genre... DJ, table de mixage, dans ce genre de là, tu vois ? explique-t-il, lui jetant un regard. Je voulais tenter ingénieur du son, histoire d'être dans le même univers, mais j'ai pas été accepté. Du coup j'ai fini en informatique en pensant trouver une passerelle, mais c'est plus compliqué que prévu. Et j'ai tenté musicologie au pif, histoire d'avoir une option.

Il fait une pause, lance un coup d' œil vers l'enseignant, de nouveau, pour s'assurer qu'il ne les entend pas discuter tout bas depuis tout à l'heure. Visiblement non, ou alors il a décidé de les ignorer puisque, de toute façon, ils sont en retrait et ne font pas tant de bruit que ça, moins que les trois personnes au fond en tout cas.

— Désolé, c'est chiant comme la mort, finit-il par murmurer, ironique, un sourire aux lèvres. Ah et tiens, au fait.

Il fait glisser le petit morceau de papier où il a écrit son adresse mail et son numéro – ainsi elle a le choix, il espère que ce n'est pas trop bizarre de sa part de lui filer ça comme ça, ceci dit... ou alors il sera étiquetté "débile" le reste de l'année, tant pis.

— Est-ce que tu accepterais de partager le déjeuner avec moi après ce cours ?
— De ouf ! s'empresse-t-il de répondre avec enthousiasme, un peu trop vite, un peu plus fort aussi, puisqu'il attire le regard de quelques étudiants autour de lui à qui il adresse un sourire gêné et désolé, avant de se tourner vers Théo. Tu parles super bien, d'ailleurs. Le français n'est pas ta langue maternelle ?

La question a l'air étrange, là comme ça, mais dans la tête de Nino ça fait complètement sens ; parce qu'il sait que parfois, les personnes qui parlent français couramment mais qui ont une autre langue maternelle le parle mille fois mieux que les français eux-mêmes, que ce soit au niveau de la prononciation moins mâchée ou de la conjugaison plus correcte. Il a des éclairs de perspicacité, des fois, même si c'est rare.

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“le fruit du bazar.” Théoxane & Nino

Les deux jeunes gens se retrouvent enfin dans la cafétéria, l'un des moments préférés de Nino lorsqu'il passe sa journée à l'université. Parce que voilà, il n'y a que là qu'il peut souffler, sans penser à devoir réviser – ce qu'il ne fait pas – ou à faire attention à ne pas être en retard pour le prochain cours, puisqu'il a bien une bonne heure devant lui pour manger. Enfin ceci dit, ce n'est pas la meilleure nourriture qu'il ait mangé de sa vie, ici... Faut pas trop leur en demander, tant qu'il y a assez de repas pour tous les étudiants, le reste c'est facultatif.

Il est déjà en train de réfléchir à ce qu'il va prendre, toujours accompagné de Théoxane qui fait donc la queue avec lui. Les sandwichs ont l'air terriblement fades, mais en même temps il sait que les salades ne risquent pas de le rassasier, loin de là... Ce qu'il ne donnerait pas pour un menu de fast-food, d'un coup.

— Donc si j'ai bien compris, tu souhaites devenir DJ. Est-ce que tu as déjà... mixé ? Je crois que c'est comme ça que l'on dit... Tu voudrais bien me montrer un jour ? Je suis curieuse ! Je n'ai jamais écouté ce son.

— Hm ? fait-il, déconcentré dans sa réflexion visiblement très importante à propos de ce qu'il va choisir. Oh oui, oui bien sûr ! Effectivement, c'est comme ça qu'on dit, répond-il en riant. Je te ferais écouter après si tu veux, j'ai mes écouteurs et quelques sons sur mon portable. Enfin, te moque pas, c'est pas du DJ Snake ou du Martin Garrix, pas encore en tout cas.

Il lui lance un regard à moitié ironique, non sans un sourire de coin, puis c'est à son tour de commander alors que l'étudiant devant lui a fini de payer. C'est finalement avec un sandwich au poulet qu'il se retrouve, et il attend que Théoxane le rejoigne à côté de la file, entamant déjà son sandwich – il a faim, c'est pas de sa faute.

Une fois cela fait, les deux adolescents s'assoient à une table libre dans la zone conçue à cet effet, où tous les étudiants s'installent pour profiter de leur pause déjeuner. Il place la paquet de chips qu'il s'est permis d'acheter entre eux deux, tournant l'ouverture vers Théo.

— N'hésite pas à en prendre si t'en veux. Il s'apprête à recroquer dans son sandwich, et puis, il semble tilter : Ah oui c'est vrai, mes sons !

Sans plus tarder, il sort son portable et branche les écouteurs, en offrant un à la jeune fille pour lui permettre d'écouter. Il lance l'une des musiques dans ses dossiers, le regard rivé sur Théo, visiblement à l'affût de la moindre réaction qu'elle peut avoir.

— Je comprends si c'est pas ton style, dit-il finalement avec un sourire gêné, alors que le son joue toujours dans l'une des oreilles des deux jeunes gens. Tu écoutes quoi comme genre de musiques d'ailleurs ? Oh, je connais un groupe de rap russe, je suis sûr que tu dois connaître du coup. C'est un peu bizarre pour nous, mais je trouve ça stylé et il paraît qu'ils sont populaires en Russie, explique-t-il en cherchant dans son portable.

Puis il lève la tête vers elle, l'air curieux.

— Enfin je dis ça, mais tu as vécu combien de temps en Russie ? T'es née là-bas j'imagine ? Ça doit être un peu étrange, la transition entre la Russie et la France, hasarde-t-il, véritablement intéressé.

Il s'emballe un peu, mais faut dire qu'elle est l'une des premières personnes à la fac avec qui il s'entend si bien dès la rencontre. Et avec Nino, le stade de "simples connaissances" passe rapidement au stade "d'amis", surtout de par son comportement avec ladite personne plutôt qu'autre chose. À force de passer du temps avec lui, on finit presque par croire qu'on le connaît depuis des tas d'années. "La sociabilité de son père", que dirait sa mère, presque moqueuse, à le voir ainsi.

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“le fruit du bazar.” Théoxane & Nino

Sur le coup il ne fait pas vraiment attention, au fait qu'elle ne réponde qu'à moitié à ce qui semble être un interrogatoire de sa part. Son attention est à la fois portée sur le sandwich entre ses mains, le paquet de chips au milieu de la table, la musique dans une de ses oreilles et enfin, la discussion qu'il a relancée avec la jeune fille devant lui. Et Nino, il n'est pas connu pour son talent à faire plusieurs choses en même temps, ça se saurait, même si il a dû expérimenter le truc pas mal de fois à la Plaisance depuis qu'il est embauché là-bas.

Donc non, il ne se rend pas trop compte qu'elle évite la question, se contentant d'hocher la tête, à moitié pour l'intérêt qu'il porte à sa réponse évasive et l'autre moitié en rythme avec le son qu'il a lancé il y a quelques secondes à peine. Le son n'étant d'ailleurs qu'une de ses maquettes, la plus récente donc celle dont il est le plus fier pour l'instant, et celle la plus aboutie, aussi. Il pourrait le jouer dans une discothèque, en tout cas... seulement si on lui laissait la chance de le faire, parce que ce n'est franchement pas gagné.

— C'est très intéressant ! J'avoue que ce n'est pas ce que j'écoute habituellement mais je suis contente de l'avoir découverte. As-tu pensé à envoyer ces sons à une maison de disque ?

Il émet un petit rire, loin de lui l'idée de se moquer, bien au contraire, mais disons que l'enthousiasme de Théoxane lui rappelle... lui-même il y a quelques années, entre autres. Quand il était encore naïf et plein d'espoir – il l'est encore, mais moins qu'avant, surtout depuis qu'il s'est pris un stop par tellement de gens qu'il ne compte plus. Il n'a pas baissé les bras pour autant, disons juste qu'il comprend pourquoi on l'a renvoyé sur le banc de touche quand il avait à peine seize ou dix-sept ans, même si au fond ça l'a un peu découragé de retenter l'expérience.

— Pas vraiment, non. Enfin, c'est un peu trop compliqué pour moi, j'avoue. La plupart du temps, ils envoient le fichier dans la corbeille avant même de l'avoir écouté. Mais bon, il paraît que c'est le business de la musique qui est comme ça, lâche-t-il, comme fataliste, l'air à moitié sarcastique.

Elle demande alors s'il a déjà joué quelque part, ou même fait la première partie d'un concert, et il ne peut pas s'empêcher de pouffer légèrement de rire, amusé. Au moins, elle est optimiste, et il ne peut pas lui en vouloir. En fait il la remercierait presque, parce que ça fait du bien de parler de ses projets avec quelqu'un comme ça.

— Je joue au bar où je bosse, des fois, mais c'est rare. C'est juste quand il n'y a pas trop de clients, c'est-à-dire... tous les trente-six du mois, lance-t-il avec ironie. Mais non, pas de concert. Enfin, j'ai déjà participé à de grands événements, j'ai même déjà mixé pendant un défilé de Gabriel Agreste ! Tu le connais ?

Sait-on jamais, si elle vient tout juste de débarquer de Russie – il ne le sait pas puisqu'elle n'a pas voulu lui dire, visiblement –, peut-être qu'il n'est pas aussi connu là-bas qu'ici.

— Bref, disons que fut un temps, j'avais pas mal d'opportunités, mais elles se font plus timides ces derniers temps. Les concerts de DJ c'est assez rares aussi, souvent c'est des grands noms. Mon objectif pour l'instant c'est de commencer dans les grosses discothèques, quitte à ce que je partage l'affiche avec d'autres...

Il s'arrête soudainement et, dans un geste qui semble gêné, il replace correctement sa casquette – qu'il a revissée sur sa tête entre-temps – et lui adresse un sourire désolé.

— 'Scuse, j'ai tendance à trop parler quand je me lance dans ce sujet... Mais du coup tu écoutes quoi comme musiques, toi ?

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