Lars Einvald [wip]

Bon voilà. Je me doute fortement qu'on fasse un jour ma biographie donc je me lance à l'eau. Quelques tentatives pour retracer mon parcours ? À la personne qui est en train de lire, merci de refermer le dossier, c'est très indiscret de fouiller dans les affaires de quelqu'un d'autre !

(je te vois venir Gabrielle, ma vengeance de grand frère sera terrible )

(et si c'est quelqu'un d'autre, c'est tout pareil )




J'ai grandi la majeure partie de ma vie en fils unique.
Je peux pas dire que j'ai manqué d'attention dans mon enfance, mais aussi loin que je peux m'en rappeler, j'ai toujours vu les darons s'échiner pour gagner de l'argent. Je pense que c'est pour ça que je n'ai jamais été très demandant, là où certains-certaines de mes camarades demandaient presque automatiquement les derniers jouets ou consoles sortis en rayon. Je pense que je ne voulais pas être encore plus un fardeau pour mes parents, même s'iels n'ont jamais laissé l'impression que c'était le cas.

Il faut dire qu'iels étaient vachement jeunes quand iels m'ont eu. C'était très courageux d'avoir décidé de me garder... et ça m'arrange pas mal.

-C'est faux quand je disais que je n'ai jamais été très demandant. Il y a une chose que je voulais, et ce n'étaient pas des jouets ni des sucreries : je voulais être grand frère. J'ai toujours voulu pouvoir protéger plus jeune que moi... Et même si les darons faisaient de leur mieux, les fois où iels n'étaient pas là, c'était dur d'être seul ou juste avec les grand-parents. Je me faisais bichonner mais c'était pas ce que je voulais. Je voulais de la compagnie, c'était mon caprice. J'étais assez infernal là-dessus pendant une époque, surtout quand je voyais des camarades qui avaient leurs petits adelphes qui arrivaient progressivement à l'école dans les classes plus jeunes. Je voulais avoir un petit frère ou une petite sœur, qu'importe, tant que je pouvais grandir avec ! Je demandais régulièrement quand est-ce que j'en aurai, comme si c'était une livraison Amazon.

Sauf que ça ne fonctionne pas comme ça. J'ai été déprimé pendant un long moment quand maman m'avait expliqué qu'elle ne pouvait plus avoir de bébé. Je me souviens même d'avoir fait la gueule. Sauf que c'est pas de faire la gueule qui changerait la réalité. J'avais fini par abandonner l'idée d'être grand frère, grandissant, comme dit, en fils unique.

Ce qui laissa tout le loisir à mes parents de me dire tout et son contraire niveau scolaire. Ça a été très dur pour moi car je ne voulais décevoir ni l'une ni l'autre. J'aurais forcément plutôt eu tendance à me la jouer cool niveau boulot mais... Je crois que j'ai toujours été un petit toutou là-dessus, dans le sens que ça se jouait très souvent à qui avait le plus d'autorité ou de détermination entre les deux parents. Autant dire que maman peut être écrasante quand elle s'y met. Mais ça tombe bien parce que j'ai appris à faire comme elle. Je ne me laisse pas marcher sur les pieds avec les autres.
Puis courber l'échine face à elle me permettait d'avoir un espace sûr où je pouvais m'amuser avec papa, ou par exemple de ne pas me faire interdire d'aller à l'anniversaire des copains... Un exemple au hasard.

Maman m'a appris à être libre dans les contraintes. Papa m'a appris à être libre en dehors des contraintes.
Je pense que je me situe entre les deux.




Quand j'étais gamin, j'avais le rêve d'être musicien comme papa. Je n'osais pas trop en parler à maman, bien qu'elle m'ait dit plus tard qu'elle voulait avant tout que j'aie un travail qui me plaise, en dehors de la réussite scolaire.
Je me voyais déjà sous les feux de la scène avec une guitare à la main et des grosses foules. Dans un de mes rêves, je formais même un duo avec papa.

C'est à peu près à la même période que j'ai remarqué qu'un de mes copains arrivait parfois à l'école avec des bleus sur les membres. Comme il était assez casse-cou, c'était plausible qu'il se soit cassé la margoulette. C'était d'ailleurs ce qu'il affirmait. Mais un jour où l'on avait piscine, il n'est pas venu. Je m'étais inquiété car c'était son sport préféré. La prof nous avait dit qu'il était malade.
Mais il n'est pas venu en cours non plus les jours d'après. Avec d'autres potes, on est allés sonner chez lui pour vérifier comment il va. Il y avait des cartons dehors et la porte d'entrée était ouverte.
C'est sa tante qui vint nous répondre.

C'est là que j'ai appris qu'il se faisait battre par son père et qu'il allait changer d'école parce qu'il emménageait avec sa tante.

J'ai été choqué d'apprendre ça.
On ne s'était rendus compte de rien. Il subissait ça ? De la part de son parent ? Depuis combien de temps ?! Pourquoi est-ce qu'il avait caché ça ?
La seule raison qui avait mis fin aux agissements du père était qu'il y était allé plus fort que les autres fois et que les voisins avaient appelé les services sociaux, qui s'étaient occupés de lui et de son fils quand la brigade des mineurs l'avaient attrapé en pleine action. Je l'ai appris de maman, qui avait eu l'information de ses collègues.

La dernière fois que j'ai vu ce copain, il avait un bandage à l'œil et le visage tuméfié. Il semblait avoir honte qu'on sache ce qui lui était arrivé, il était fuyant. Il n'a pas dit un mot quand il a quitté le quartier pour de bon, installé passivement dans la voiture de sa tante. Avant qu'il ne monte dedans, je lui ai lancé, la voix forte bien qu'un peu tremblante : " Emir !" Il s'était retourné. "On gardera contact hein ?", j'avais demandé. Il m'avait regardé un long moment, de son œil à peine visible sous les bleus, puis était monté sans rien dire.

Je me suis longtemps demandé ce que voulait dire ce regard. Mais je m'en suis longtemps voulu aussi de ne pas avoir compris la détresse de mon copain. Peut-être que j'aurais pu faire quelque chose. J'en ai parlé beaucoup avec maman, particulièrement secoué. Elle m'a dit que je n'aurais rien pu faire, que je n'aurais pas pu reconnaître les signes de ce qu'il vivait comme je n'avais même pas idée qu'une telle chose puisse exister dans mon entourage proche, que je n'étais qu'un gosse. C'est là que je lui ai demandé ce qu'il allait arriver au père. Elle m'a expliqué qu'il serait emmené au tribunal pour être puni de ses crimes et pour qu'on lui retire la garde d'Emir à la faveur de sa tante, elle l'espérait.

J'ai voulu assister au jugement. Et c'est là que j'ai trouvé ma future vocation. J'avais compris que c'était au tribunal que les décisions les plus impactantes étaient prises pour l'enfant. Sans le travail exceptionnel de l'avocat d'Emir, le juge qui s'occupait de son cas semblait bien parti pour laisser la garde au père malgré tous les éléments qui l'incriminaient. Heureusement, ce ne fut pas le cas. Je compris que signaler des cas de maltraitance ne suffisait pas si c'était pour au final laisser l'enfant dans sa situation initiale. C'est comme ça que j'ai décidé d'être avocat.




Je pense que c'est vers la fin du collège que je me suis rendu compte que je ne me sentais pas trop coller à l'image de la masculinité construite par notre société. J'ai commencé à faire quelques recherches pour mieux me comprendre mais il m'a fallu plusieurs années pour conscientiser que je ne me sens pas tout le temps et uniquement homme. J'ai souvent fait semblant pendant toutes ces années pour ne pas qu'on me considère comme étant "bizarre", ne comprenant moi-même pas complètement qui j'étais/suis. Aujourd'hui je le regrette un peu, car je n'arrive pas à en parler à ma famille par exemple. Pourtant je suis sûre que ça passerait crème. Mais je crains d'être traitée différemment si je le verbalisais.

C'est notamment pour ça que j'encourage Gabrielle à être elle-même avant tout, et qu'importe le regard des autres. Il est trop facile de s'enfermer dans l'image sociale qu'on se crée de soi. Ce serait quelque chose que je conseillerais à n'importe qui.