Au creux de la Pyramide | Dinath

« A droite, vous pouvez observer Joyeuse, la célèbre épée de Charlemagne ! »

Luka peine à voir l’éclat de l’épée. Il se tord, se met sur ses pointes, mais rien n’y fait. Malgré sa grande taille, il est condamné à ne rien voir. Et il en a assez. Il ne sait pas pourquoi il a accepté cette visite guidée. Si, en fait. Le sourire de sa mère. Elle en avait si envie ! “Luka, on vit à Paris, mais on ne va jamais au Louvre ! Pour une fois j’aimerai faire ma touriste”. La fois de trop, oui. Sa mère, il ne la voit même plus, elle a été aspirée par le monde.

Luka ne supporte pas cette foule.

Ses épaules sont toutes tendues, et il ne comprend plus ce que dit le guide. Il aimerait faire signe à sa mère, lui dire qu’il va prendre un peu l’air, mais il n’y arrive pas. Finalement, il craque. Il attrape son téléphone portable, envoie un SMS : “Dis moi quand le tour est terminé, on se retrouve sous la Pyramide, je vais faire un tour dans les zones un peu plus calmes du musée.” Et sans attendre sa réponse, il s’en va.

Il marche rapidement, et slalome entre les visiteurs. Il y en a trop ! Le Louvre est célèbre pour ses œuvres, et pour sa densité de population. Apparemment, il y a quelques zones un peu épargnées, et il les cherche. A gauche, un couloir. Personne ne semble s’y engouffrer. Alors, Luka, lui il y va ! Il n’y a aucune œuvre connue ? Eh bien parfait.

Il y a quelques meubles, ici et là, du patrimoine français, qui appartenaient aux monarques. Luka n’y fait pas vraiment attention, mais la balade est agréable. Dans une pièce, deux petits vases chinois sont en vitrine. Il aime la peinture bleue sur la faïence blanche, alors, il s’en approche.

« Pourquoi des vases chinois avec des meubles français ? »

La question de Luka s’échoue contre le silence des murs. Et il se mord les lèvres, en se rendant compte d’avoir parlé tout haut. C’est que la tranquillité l’apaise, alors il se permet de laisser ses pensées s’échapper. Et il continue de le regarder, ce vase, avec une étrange intensité. Il le détaille, chacune des pétales bleues, et chacune des fissures. Et plus il le détaille, et plus il le trouve beau.

Drôle de syndrome de Stendhal, pour un vase. D’habitude, il s’agit davantage de profondeur d’une peinture, de grandeur de toiles. Ici, Luka se laisse happer par rien qu’un tout petit vase. Rien qu’un tout petit peu de porcelaine.

Et il essaie de s’en détacher, en regardant ailleurs. Il tourne le regard, pour chercher les moulures sur le plafond, et puis pour observer les grandes tapisseries Napoléoniennes. Mais rien à faire, à chaque fois il en revient à ce vase, comme un aimant.

Et il y a cette femme. Cette seule femme, dans la pièce. Elle ne semble pas visiter, parce qu’elle ne regarde rien. Du moins, rien comme un touriste. Alors, Luka finit par s’intéresser à cette femme là, plutôt qu’au vase. Il n’ose pas la dévisager, mais il voit, autour de son cou, le badge des agents du musée. Alors, il se rapproche, et il ose demander :

« Vous travaillez ici ? » Et il marque une pause avant de craquer : « Il est beau ce vase, n’est-ce pas ? »

Il manque à toutes les politesses. Un peu embêté, il s’excuse, dès que Dinath lui répond : « Bonjour ! Excusez-moi. » Et lui offre un petit sourire. Il est déjà tellement heureux qu’on lui réponde, et qu’on puisse l’aider. Il a envie de partager autour de l’art, et de tout ce qui le touche. Malheureusement, depuis qu’il est rentré à Paris, Luka a bien du mal à sociabiliser. Ses études, avec des camarades, il les a faites en région. Depuis qu’il est rentré, il a l’impression de perdre ses repères. Ce n’est pas dans l’obscurité de son atelier de luthier qu’il rencontre beaucoup de personnes de son âge.

« Luka Couffaine, enchanté. » Comme si c’était aussi intéressant et important que “Dinath Price, Doctoresse”. Bien sûr que non, et Luka le sait, mais il souhaite se présenter, on ne sait jamais, que ce soit plus sympathique.

« Le petit Ming… » Il répète, comme un perroquet. Il répète, pour enregistrer le nom de ce fabuleux vase, surtout. Il aimerait pouvoir s’en souvenir. Le nom, il n’en est pas certain, mais la force, la couleur, la brillance. Oh ça ! Oui, il s’en souviendra. « C’est parce qu’ils sont obnubilés par la Joconde. » Il aimerait bien, être touché par la magie de Mona Lisa, mais Luka ne se permettrait pas de la dévisager. Trop de monde. Trop de bruit. Trop d’odeurs, sûrement, aussi. Il préfère la tranquillité de cette salle, et l’intimité de ses œuvres.

Et il le regarde, toujours. A la proposition de Dinath, il ne peut s’empêcher de s’exclamer, avec un enthousiasme qu’il ne peut cacher : « Il y en a d’autres, comme ça ! » Avant de reprendre, avec une voix plus calme, et un sourire heureux. « J’aimerai beaucoup, merci. »