Stage d'observation en milieu professionnel... ou comment se faire exploiter. [PV Gabrielle]

"Vive les stages !»

Quelques semaines s’étaient écoulés depuis la rencontre avec la petite Gabrielle. Il n’avait pas attendu l’arrivé du jour-j afin d’appeler l’école et d’avoir le supérieur au téléphone afin de discuter avec lui. Cela avait été un long débat entre le cadre administratif et lui, Timéo cherchant à expliquer que laisser des adolescents se contenter de regarder les autres faire et s’ennuyer pendant des heures leur feraient plutôt dégoûter du stage plus qu’autre chose. Il leur avait même dit de devoir passer au moins un jour à l’improviste à chaque stage pour s’assurer que tout allait bien, quelques personnes peu scrupuleuses pouvant profiter de les exploiter. Enfin bon, il avait réussi à obtenir ce qu’il souhaitait : le droit à quelques tâches à condition que Gabrielle ne touchait à aucune machine. Sa copie de la convention reçue, le couturier avait pu obtenir les informations de sa stagiaire et avait pris le temps d’appeler les tuteurs afin de se présenter, de les rassurer et de leur donner un peu le programme qu’il réservait à l’adolescente. Il savait que les stages pouvaient être des moments cruels pour de jeunes gens : harcèlement, violence, exploitation… tout pouvait y passer et effrayer n’importe quel parent, d’autant plus lorsque le stage se déroulait dans l’appartement-même d’un homme. Le couturier leur avait dit de passer chez lui lorsqu’ils le souhaitaient afin de s’assurer du bien-être de leur fille, proposé de mettre quelques caméras s’ils le désiraient ou même encore de leur donner les numéros de quelques clients habitués. Peut-être en avait-il trop fait, mais ça valait mieux que pas assez puisqu’il voulait aussi sa propre sécurité. Il avait travaillé dans la police, pas longtemps certes, mais assez pour comprendre que certains n’hésitaient pas à porter plainte par pure vengeance ou méchanceté sous couverture d’une agression quelconque à laquelle il n’y avait nulle preuve ou presque, créée de toute pièce. Il ne connaissait pas assez Gabrielle pour lui donner un dixième de toute sa confiance et encore moins à sa famille, bien que le nom de famille lui disait grandement quelque chose, qu’il l’avait vu ou entendu quelque part.

Il avait mieux rangé son appartement, à commencer par le salon qui lui servait d’atelier. Généralement il n’y avait qu’un tout petit peu de désordre qu’il rangeait à fur et à mesure, mais là il fallait mieux entretenir une bonne image de sa personne et surtout de son entreprise. Il avait dégagé la table basse afin d’y poser un téléphone, un bloc note et quelques crayons. Comme ça elle pourrait jouer un peu la secrétaire si elle n’était pas disposée à faire les tâches qu’il lui donnait. A côté se trouvaient aussi un bac des chutes de tissus, la plupart déjà découpées en carré, avec pour projet potentiel de lui apprendre à faire du patchwork, ainsi qu’un petit kit de couture un peu vieillot, certes, mais qui avait su faire ses preuves au fil des années. Il avait gardé son mannequin de couture déjà vêtu d’un corset rose devant sa propre table de travail : ce n’était pas qu’il craignait que Gabrielle se mette à faire une grosse bêtise volontaire en brodant ou cousant quelque chose dessus, mais plutôt il craignait qu’elle fasse couler par accident un stylo ou quoique ce soit d’autre de tâchant. Il avait totalement rempli les placards de biscuits, gâteaux et autres objets à grignoter si jamais la demoiselle avait faim ; après tout elle était encore en période de croissance et son corps pouvait réclamer à tout instant de la nourriture. Il avait fini par acheter du lait pour si jamais elle souhaitait se faire un cacao, pensant que les adolescents ne devaient pas apprécier le thé ou même encore le café.

Enfin bon, tout était prêt, du moins c’était ce qu’il pensait en revisitant tout son appartement comme s’il s’apprêtait à le vendre. Il ferma la porte de sa chambre à clé et revérifia à nouveau que tout était en ordre. Est-ce qu’il stressait un peu pour l’arrivé de sa première stagiaire ? Oui. Par contre il espérait qu’elle était bien venue dans une tenue complètement neutre et sacrifiable comme il l’avait demandé à ses tuteurs.

"Vive les stages !»

Tout était normalement parfait : il s’en était assuré. Peut-être que les parents de la jeune stagiaire viendraient afin de vérifier que tout était en ordre et qu’elle ne pourrait jamais ô grand jamais trébucher sur un morceau de tissu qui traînait pour ensuite se cogner le front contre le coin d’une table. Toutefois, il était conscient que ce beau ménage n’allait pas durer longtemps ; avec tout le travail qu’il avait, il pourrait recouvrir le sol de chutes de tissu, de boutons évadés de ses tiroirs et de morceaux de fils : à cela pouvaient s’ajouter les jouets que Jeanne laissait traîner. Normalement, tout était bon. Soudainement la sonnette retentit et le caniche daigna de lever sa tête de sa couchette l’air de se demander quel étrange visiteur pouvait bien la déranger pendant son sommeil. Timéo s’approcha de la porte, revérifia un instant que ses vêtements -un simple t-shirt noir et un pantalon large de même couleur- étaient impeccables avant d’ouvrir la porte pour tomber sur la petite Gabrielle. Elle était seule ; visiblement il s’était inquiété pour rien. Il retint un soupir de soulagement, opinant de la tête.

« Bien le bonjour. »

Du chocolat ? Que c’était fort sympathique, mais malheureusement le couturier faisait parti de ces gens qui ne savaient pas comment prendre un cadeau et c’était même l’une des raisons pour laquelle en période de fête il faisait tous les efforts possibles pour éviter sa famille, y compris à Noël, fête d’hypocrites à ses yeux où tout le monde se souriaient et troquaient des cadeaux pour présenter une belle image familiale. Il prit le sac, se décalant un peu.

« Merci, rentre, mets-toi au chaud rapidement avant d’attraper froid. »

Surtout qu’il n’aimait pas son voisinage ; de vives commères qui avaient vent de tout et qui se permettaient de délier leurs langues pour laisser exprimer leur imagination la plus sordide. Il avait eu le droit à quelques rumeurs le concernant, manquant d’ailleurs lui créer quelques problèmes avec ses clients à qui on leur avait conté que le jeune homme faisait venir des gens pour travailler pour lui, les exploitants ; elles n’avaient vu que des clients entrer chez lui et s’étaient contentés d’en venir à une conclusion hâtive. Il fit donc entrer la demoiselle chez lui avant de fermer la porte derrière eux alors que Jeanne arrivait, remuant légèrement la queue pour approcher la nouvelle venue et se mettre à la renifler, un brin méfiante.

« Je te présente Jeanne. C’est un peu la mascotte de l’entreprise. »

Timéo essayait d’être sociable ; déjà que la discussion était assez compliquée avec les adultes alors c’était à un niveau supérieur avec les adolescents. Il lui fit signe d’entrer dans l’atelier.

« Installe-toi dans le salon : je t’ai laissé le canapé et la table basse. Est-ce que tu souhaites boire quelque chose de chaud ? »

Au moins ça lui laisserait le temps de réfléchir à comment il pourrait formuler ses premiers mots en tant que maître de stage. Allez ! S’il souhaitait un jour gouverner la France, il devait d’abord apprendre à gérer cette adolescente !

"Vive les stages !»

La chienne hésita un moment en voyant cette inconnue à remuer de la queue et venir lui sentir la main ou alors la snober ; mais l’appel des caresses se faisant trop fort, elle finit par approcher Gabrielle et venir lui donner un petit coup de museau contre la main dans l’espoir d’obtenir quelques petites gâteries. Timéo laissa donc le duo faire connaissance et sa stagiaire se diriger à l’atelier tandis qu’il entrait dans la cuisine. La demoiselle ne devait sans doute pas prévoir de bêtises pour le moment, du moins, il l’espérait grandement. Tout était bien rangé, mis en ordre, de sorte qu’il puisse s’y retrouver. Sans doute allait-elle sortir quelques papiers que l’école lui demanderait de remplir au fur et à mesure des journées passées à lui apprendre quelques petites activités ou pour l’avoir exploitée d’une façon ou d’une autre. Sous la demande de la Gabrielle, Timéo fit chauffer le lait dans la casserole en inspectant quand même la bouteille sous toutes les coutures. Il avait pris chez un vendeur de producteur local afin d’aider les agriculteurs français, mais c’était bien la première fois qu’il prenait du lait, n’en n’étant pas un très grand consommateur. Finalement il gâtait bien la jeune fille pour son premier jour de stage et il espérait qu’elle se montrerait un minimum supportable. Après avoir terminé de préparer le chocolat chaud et un thé -il n’avait pas envie d’abuser sur le café pour éviter d’être trop sur les nerfs- le jeune homme arriva dans le salon en voyant que Jeanne était partie se coucher avant de poser la boisson de Gabrielle devant elle.

Il allait s’asseoir à sa place, posant sur sa table son thé avant d’entendre soudainement une question. Oh, il avait oublié ce détail, celui où toutes les écoles demandaient aux élèves d’assommer leurs maîtres de stages avec un bombardement de questions. Timéo se souvenait qu’à son époque, il avait manqué de connaître toute la vie du pauvre professionnel qui l’avait pris quelques jours sous son aile. Il fallait dire aussi que le bougre avait passé son temps à parler, au plus grand malheur d’un adolescent déjà blasé à cette époque. Timéo finit par s’installer, prenant les lunettes posées sur le meuble qu’il ne mettait que lorsqu’il avait besoin de travailler ou pour le repos.

« Je vais te décevoir, mais je n’ai pas fait d’études dans le stylisme. »

Autant être honnête ; généralement c’était ce qu’on attendait d’un créateur quelconque : d’avoir pu faire des études dans le stylisme. Autant répondre entièrement à la question afin de donner à Gabrielle plus de précisions avant qu’elle ne le bombarde de questions.

« J’ai fait un bac général avant de partie à l’école de police. J’ai travaillé quelques années dans les forces de l’ordre avant de démissionner. J’ai ensuite commencé à travailler pour mon propre compte. »

Parfois il regrettait de ne plus être policier, il devait l’avouer, mais malheureusement il était conscient que s’il n’avait pas quitté de lui-même son job alors il aurait été viré tôt ou tard à cause de son caractère qui ne collait pas avec ce qu’on attendait de lui. De toute façon, il était persuadé de la corruption de ses anciens supérieurs et l’arrivée des supers héros auraient fait comme pour ses anciens collègues : le déprimer.

« Pour ce qui en est de l’apprentissage, j’ai tout appris par moi-même dès mon plus jeune âge. Finalement ça m’a servi dans ma vie personnelle que dans ma vie professionnelle maintenant. Donc c’est un parcours totalement atypique qui risque de décevoir grandement tes professeurs qui auraient peut-être espérer te conter ô comment une école de stylisme c’est vraiment bien. »

Il laissa le temps à la demoiselle griffonner les informations. Il n’avait aucune envie de se répéter. Soudainement il se demanda si à défaut de ne pas pouvoir lui apprendre à utiliser une machine à coudre il pouvait lui enseigner quelques prises apprises dans la police et qui pourraient potentiellement lui servir en cas d’agression. Il rangea dans un coin de sa tête cette idée qu’il jugea stupide et dangereuse avec des parents et des professeurs mécontents.

« Pour ce qui en est de mon entreprise, je travaille en effet seul. Je pourrai potentiellement recruter dans le temps à venir lorsque j’estimerai avoir non seulement plus de travail que je ne pourrai en gérer mais aussi lorsque mon entreprise sera assez développée. Pour commencer, le projet que j’ai en tête pour pouvoir l’améliorer serait d’aller dans des conventions pour vendre mes productions, donc je risquerai de recruter en effet au moins une personne pour m’aider, après ce serait à voir. »

Il parlait trop, il le savait et n’aimait pas ça. Cette semaine allait être éprouvante psychologiquement. Portant une main à sa tasse, Timéo regarda Gabrielle en espérant une réponse négative à sa question :

« As-tu d’autres questions avant que je puisse me mettre au travail ? »

"Vive les stages !»

Elle écrivait tout ce qu’il disait et fort heureusement puisqu’il détestait se répéter. Même si cette petite était plutôt énervante aux premiers abords, Timéo ne pouvait nier qu’elle semblait être assez sérieuse dans son travail de petite stagiaire. Il eut alors pitié d’elle ; après ses études sans doute se fera-t-elle exploiter par ses employeurs en voyant une pauvre demoiselle bien méticuleuse dans son travail. Cela sera comme une claque sur la joue de la pauvre Gabrielle qui comprendrait ô comme ce monde était injuste, notamment pour les petites gens. Avec un peu de chance, elle aura de l’ambition à ouvrir sa propre entreprise comme lui l’avait fait, étant son propre cheffe, elle ne pourrait que dépendre d’elle-même et se reprocher à sa propre personne chacune de ses erreurs… si elle était assez mature pour cela. Entendant la question de la jeune fille, le couturier secoua la tête.

« Tu es trop jeune pour ça. Je risque de sérieux problèmes si je venais à t’engager. J’arrive déjà à gérer les réseaux sociaux et à poster mes créations. Toutefois, si tu souhaites un peu d’argent de poche, je peux toujours t’engager comme petsitter ou même encore dans les conventions pour vendre sur les stands. Tu seras payée au black, cependant tu seras payée comme un employé lambda. »

Au moins ce serait une extension de stage en découvrant comment un jeune créateur était dans l’obligation de se battre pour pouvoir se faire connaître. Aussi elle pourrait voir le contact avec la clientèle, se rendre compte ô comment il y avait des gens compliqués qui seraient là à regarder par exemple un bijou fait main avant de grimacer et déclarer qu’il y avait moins cher sur Aliexpress ou Wish, charmante déclaration qui avait pour manie d’énerver Timéo.

« Ne t’inquiète pas, aucun client n’ose oublier de me payer, je leur rappelle que je connais mes droits étant ancien policier, généralement ça les refroidit direct. Actuellement, tu vas avoir deux missions. La première, t’occuper du saint téléphone que je déteste énormément. Accueille bien les clients au téléphone en leur demandant de prendre rendez-vous avec moi. Tiens l’agenda. »

Se rendant compte de ce qu’il avait oublié, il prit l’objet avant de le poser sur la table de la demoiselle. Au moins elle pourrait voir comment il était occupé.

« Puis si tu vois que le numéro a été appelé « parasite numéro » suivi d’un chiffre, je t’autorise à trouver toutes les excuses possibles pour dire que je suis mort. Donne des raisons stupides. Que je suis mort étranglé par mon rideau de douche, étouffé dans ma propre salive, ou d’avoir un chagrin d’amour pour ma propre personne en me rendant compte quel enfoiré je suis et avoir eu le cœur brisé, ce qui m’a été fatal … Bref, amuse-toi, trouve-moi des morts originales puis raccroche-leur au nez. Si tu arrives à me faire rire alors tu seras récompensée. »

Une façon à lui de se montrer sympathique et encourageant. Si elle n’était pas contente, elle ne pouvait que s’estimer heureuse, il lui épargnait les encouragements qu’il avait connu en école de police, à se faire crier comme un putois dessus, à se faire insulter de petit fragile et compagnie. Timéo se dirigea vers une étagère pour en tirer le tiroir et l’emmener à la demoiselle. Il se sentait entièrement méchant de ne pas avoir voulu ranger tout ce qui était à l’intérieur, autrement dit des tonnes de bobines de fil. Pire même, il allait lui donner une tâche sans doute ennuyeuse mais qu’il pensait être essentielle.

« Et pour finir, voilà ta première mission : tu devras ranger les bobines de fil en fonction de leur couleur dans les différents compartiments. Pour celles dont tu as un doute car c’est entre deux couleurs, fais comme bon te semble, je saurais me retrouver. Quand tu auras terminé, tu me le diras, comme ça je te donnerai la deuxième mission. Des questions ? »