Je laisse échapper un très très long soupire lorsque j'arrive sur mon lieu de travail. J'en avais un peu marre qu'il change... Un coup, c'est un salon de thé, la fois d'après c'est un gîte et maintenant c'est devenu un café... Avec un nom débile au passage. Mais ce qui est le plus débile dans cette histoire, c'est que mon patron est le type que je ne supporte pas... J'ai quitté la fac en espérant ne plus voir sa gueule et voilà que c'est devenu mon boss. Franchement j'ai fait quoi au destin pour qu'il décide de s'en prendre à moi ?

J'avais besoin de sous alors je suis quand même restée. Disons que ce n'est pas tous les patrons qui acceptent de prendre une meuf comme moi, un peu paumée et à moitié aimable... Et puis, je n'aime pas les entretiens d'embauche ; tu dois mentir sur tes compétences et sourire comme un con pour espérer plaire à tes recruteurs. Bref, je ne sais pas si c'est avec bonheur qu'il m'a reprise ou si c'est parce que mon ancienne patronne lui a demandé de me garder. Dans tous les cas, j'ai un métier et des sous à la fin du mois.

Ca faisait une semaine que le café avait ouvert et il y avait quelques petites têtes qui revenaient souvent ; notamment des demoiselles qui sont venues mater mon patron. Alors c'est bien quand elles consomment mais quand elles prennent un seul café et qu'elles ont le cul posé sur une chaise pendant 3h à mater le patron... Ca me fait chier. Il est 15h30 et pas grand monde aujourd'hui, ce qui me laisse le temps de sortir un bouquin et lire en attendant qu'un client entre dans le café... Sinon je m'ennuie et c'est mieux que d'être sur mon téléphone.

- Alors ? Tu lis quoi cette fois ?

Je tourne la tête vers Andréa pour essayer de trouver un sourire moqueur ou un truc qui me ferait comprendre qu'il se fou de ma gueule. Je plisse légèrement les yeux, un peu suspect mais décide tout de même de répondre à sa question... Ok, je ne l'apprécie pas beaucoup mais c'est lui qui me donne ma paie à la fin du mois et ce n'est pas méchant. Je place mon marque-page et ferme le livre.

- Un polar. Gardner, j'adore cette auteure, je trouve qu'elle arrive à bien placer le suspense et ses fins sont toujours inattendues.

J'adore les polars... Ce n'est pas pour rien que je me suis retrouvée en psychologie... A la recherche des tueurs, la psychologie des personnages et les fins inattendues. Je n'aimais pas beaucoup les livres sociologiques ou sur l'actualité nationale ou internationales ; même les livres de psychologie me gavent. En vérité, je préfère lire des choses romancées voire imaginaires parfois. Juste pour me changer les idées car tout ce qui touche à la politique ou à la société, ça me saoul et c'est déprimant.

- Tu lis quoi généralement toi ?

- Des trucs barbants. Des trucs de l'autre Gardner. Howard Gardner. Je lis des études sur la psychologie, la sociologie et je me renseigne sur les grandes figures. Parfois des mémoires, des traités ... Bref des trucs que tu trouverais barbants.

- Ouais.

Ouais, je trouve ça barbants. Ouais j'ai été en psychologie et pourtant ça me fait chier de devoir lire du Freud ou du Jung si je ne devais pas faire de commentaire de textes ou que j'avais une interrogation les prochains jours. Je ne sais pas pourquoi, mais la vie est tellement chiante et j'ai tellement perdu foi en l'humanité avec mes cours que j'aimerais juste me changer les idées quand je lis quelque chose... Un peu de fantastique, de magie ; d'ailleurs, je lis beaucoup de romans pour adolescents. Mais je ne les ramènerai pas ici. Il manquerait pas de me faire des réflexions à la con.

Je n'ai pas le temps de rajouter quelque chose que la sonnette retentie, annonçant l'arrivée d'un nouveau client... Ou en l'occurrence, une cliente. Je place le bouquin sous le comptoir pour prendre une position professionnelle mais je comprends rapidement qu'elle n'est pas venue ici pour boire un café... Mais plutôt pour reluquer le patron. Je lève les yeux au ciel lorsqu'elle lance son petit sous-entendu ; franchement, autant lui écrire son numéro de téléphone directement. C'est débile sa manière de tourner du pot pendant 10 minutes.

Evidemment, Andréa est content qu'une autre demoiselle s'intéresse à sa petite personne mais il ne manque pas de lui demander ce qu'elle souhaite boire... Ouais, c'est un peu à ça qu'on sert en fait. Elle s'accoude sur le comptoir et mets sa tête dans ses mains, ne manquant pas de garder son sourire de greluche... Je lui fais glisser une carte de l'établissement afin qu'elle ait une idée du genre de choses que l'on prépare ici. Elle le prend entre ses mains mais ses yeux sont toujours posés sur Andréa.

- Hum... J'hésiiiite ~ Le patron aurait peut-être une suggestion à me proposer ?

- Ben, thé ou café.

En attendant, elle voulait boire quelque chose de chaud... Donc thé ou café.. Parce que les sodas ne sont pas très chauds. Je la vois me fusiller du regard et je comprends qu'elle n'a pas envie d'être pressée et que si elle pouvait juste mater le patron, ça ne la dérangeait pas. Moi par contre, j'aimerai bien remplir notre trésorerie avec des sous de la journée ; il n'y a pas beaucoup de clients et si les peu qui viennent ne consomment pas, on n'est pas prêt d'avancer.

- Allez, on part sur un café.

- Je n'aime pas le café.

- Un thé alors.

- Mmh... Non. Je ne sais même pas ce que vous avez comme parfum.

- C'est noté sur la carte.

Au passage, je me retiens de sortir un "apprends à lire" mais comme le patron est dans mon dos... J'essaye d'être le plus aimable possible. Elle se décide enfin à baisser les yeux et lire la carte... Est-ce qu'elle va enfin se décider.

- Et sinon, vous avez ouvert depuis longtemps ?

Je me moque bien de sa réflexion sur le fait que je suis sensée travailler pour donner des conseils et que je connais les goûts des thés ; oui je les connais les goûts mais quand la cliente est venue pour mater le patron, je ne sers à pas grand chose. Heureusement, Andréa reprend rapidement la suite avec la cliente ne manquant de mettre sur mon dos le fait que je ne connaissais pas les subtilités de la carte. Je lève les yeux au ciel. Si, si je les connais mais je n'ai pas envie de parler dans le vide avec une cliente écervelée comme elle.

Je préfère me lever et m'éloigner avant de faire des réflexions désagréables pour m'occuper d'une table qu'e des clientes venaient de quitter ; je prends le plateau, mets les tasses dessus et sors un morceau de tissus pour nettoyer les tables. Je croise les sourires des clientes et papote un petit peu avec elles quand elles me parlent du café, de la décoration et des choix. Ouais, c'est vrai que c'est plutôt chouette ici. Je les remercie pour les compliments et leur souhaite une bonne journée.

Ouais, je sais que je n'ai pas l'air très aimable aux premiers abords mais je suis pas désagréable si on ne les pas avec moi ; je reprends le plateau et me dirige vers le comptoir où il y avait toujours la cliente chiante et Andréa. Il faut trois heures pour choisir un café sérieux ? Je pose le plateau sur le comptoir et range les tasses dans le lave-vaisselle, ça commence à payer de moyen de paiement... Enfin, elle allait partir. Je lui fais un petit signe de tête poli quand je vois qu'elle se tire.

- C'est la femme du mec qui à tué la maitresse.

Je relève la tête et fusille du regard Andréa qui venait de me spoiler la fin. Est-ce que c'était réellement la fin de mon bouquin ou est-ce qu'il venait d'inventer tout ça ? Dans les faits, il y avait réellement histoire de maîtresse et ce serait bien logique que ce soit la femme... Mais je voulais découvrir ça moi-même ! Je choppe mon livre et essaye de lui donner un coup sur l'épaule pour ce coup de traîtrise qu'il vient de me faire.

- Espèce de... !

- Excusez-moi de vous déranger...

Je me stoppe dans mon geste pour me tourner vers la cliente qui vient nous voir ; il s'agit d'une vieille dame qui vient tous les jours depuis que l'on a ouvert. Elle est vraiment adorable. Toujours polie, gentille et le sourire aux lèvres. Elle a souvent l'habitude de venir commander plusieurs tasses de thé... Toujours le même : celui aux fruits rouges. Je pose bruyamment mon lit sur la table, ayant toujours la révélation en travers de la gorge. Qu'il est emmerdant celui-là.

Je commence à faire chauffer l'eau, mes gens étant légèrement bruyant et secs. Qu'est-ce qui m'a pris à vouloir travailler dans ce foutu café... J'aurais mieux fait d'aller me chercher un autre travail en apprenant qui était le patron. Je continue de préparer le thé, donnant légèrement des coups de hanche à Andréa pour qu'il se pousse lorsqu'il se trouvait sur mon chemin. D'un point de vue extérieur, ouais on devait avoir l'air de vrais gamins. Le thé étant préparé, je tends la tasse à ma cliente.

- En tout cas, c'est vraiment bien que vous ayez ouvert ce café ! Et puis, les affaires marchent encore plus quand c'est un couple !

- Pardon. Un quoi ?

- Allons, pas à moi jeune fille ! Vos petites chamailleries et vos petits regards, on ne me la fait pas à moi !

- Hein, mais non !

Il était hors de question qu'on m'imagine en couple avec Andréa ! Déjà parce que c'était impossible car je ne supporte pas son caractère... Mais en plus, j'allais avoir le fan club sur le dos ! Je remarque le petit sourire en coin de la vieille dame ainsi que le clin d'œil... Oh putain, pas ça s'il vous plait.

Je secoue négativement la tête. Ah non, non. Il était hors de question qu'on me pense en couple avec lui ! Déjà parce que je ne serais pas capable de le supporter comme petit-ami mais aussi parce que ses fans allaient me tomber sur le coin de la gueule. Je commence à les connaître ses groupies avec un seul neurone ; elles seront capables de me suivre jusque chez moi pour me menacer de rompre avec. Non, non, non. Je ne veux pas risquer ma vie, il ne le mérite pas.

Pourtant, je suis coupée dans mon élan car je sens son bras entourer mes épaules et éclater de rire, confirmant les dires de la cliente. Je lui lance un regard mauvais. Il me faisais quoi ? Et autant dire que je le prends assez mal son clin d'œil. Il avait une idée derrière la tête et je n'aimais pas beaucoup ça. Pas du tout même. Et puis lui demander de ne pas ébruiter... C'est une vieille commère cette cliente ! Elle est mignonne hein, mais garder un secret ? Elle ne sait pas faire ! A un certain âge, on ne vit que pour les commérages.

Tout mon corps est tendu et attends avec beaucoup d'impatience qu'elle dégage afin de pouvoir de cette histoire plus calmement. Je souris avec mon plus sourire de faux cul mais le perds dès qu'elle tourne le dos, m'éloignant d'un seul coup d'Andréa, prête à lui poser ma question mais je suis coupée net. J'écoute la réponse qui au-delà de mes espérances ; il me parle d'augmentation et autant dire que mes oreilles sont très grandes ouvertes.

Je pince légèrement les lèvres lorsqu'il me demande de prétendre que je suis... Bon le mot ne sort pas tout de suite mais je vois ce qu'il veut dire et je vois bien que ça le dérange tout autant que moi. Je plisse les yeux, méfiante. Alors quoi, j'avais juste à prétendre que je suis sa gonz' et j'ai une augmentation à la fin du mois ? Est-ce que ce serait aussi simple ? Je prends le temps de l'observer de haut en bas en me demandant en quoi ce serait une bonne idée de se prétendre en couple.

Mais bon, c'est lui le patron. Il doit sûrement avoir une idée tordue en tête mais ce n'est pas la mort ce qu'il me demande... Surtout si il y a une augmentation -et une vraie, pas deux pauvres euros- à la fin du mois. J'hoche finalement la tête en lui disant que je ferais quelques efforts mais qu'il s'attende à me voir débarquer si l'augmentation est naze. Je continue donc de faire mon travail mais ne me mêle pas de cette histoire de couple bien que je sois concernée... Je le laisse l'annoncer à qui il veut. Tant que ces nanas ne me tombent pas dessus.