Chloé Bourgeois - Estime-toi heureux d'être à moins d'un mètre de moi

L'argent est comme un océan infini. Ceux qui savent nager peuvent en profiter autant qu'ils le souhaitent. Les autres se noient.

Chloé est née dedans. Ça a toujours été sa vie, son monde, son quotidien : une réalité prête à se plier à sa volonté, à lui obéir, à accourir au moindre claquement de doigts. Comme Jean-Pierre, son majordome. Comme son père, toujours aux petits soins. Comme sa mè…
Non.

Sa mère ne s'est jamais pliée à sa volonté et, par défaut, elle est devenu le rocher au milieu de l'océan, la seule trace de bon sens et de stabilité, le seul obstacle. Chloé ne comprenait pas. Pourquoi sa mère ne s'extasiait pas sur elle comme les autres, pourquoi ne lui donnait pas tout ce qu'elle demandait ? Il lui suffisait pourtant, pour tous les autres, de demander. Mais pas avec elle. C'était un mystère. Et, très vite, ce mystère devint un objectif, une obsession. Elle devait comprendre pourquoi sa mère était si différente. Elle devait lui ressembler, la comprendre et alors, enfin, elle pourrait obtenir d'elle la même admiration que de la part des autres. Le même amour, si tant est qu'elle ait un jour sur la définition de ce mot. Comment aurait-elle pu se forger une vision saine d'un sentiment qui, pour tous, était démontré par des cadeaux et des concessions ? Ça lui sembla vite normal.

Enfant, Chloé était certes capricieuse, mais elle n'était pas méchante. Elle appréciait l'admiration autour d'elle, les gens qui la chouchoutaient. Elle se sentait aimée, centre du monde, en haut de son piédestal d'or et de paillettes. Jean-Claude l'aidait à parler aux inconnus. Ce fut lui qui lui offrit la peluche doudou câlin qu'elle possède encore, même si elle ne l'admettrait pour rien au monde. C'était son guide. Quand elle était perdue face à une question, la peluche l'aidait à trouver les réponses. Un brave homme, ce Jean-Edouard. Elle l'apprécie, mais elle est aussi intransigeante avec lui qu'avec les autres. La moindre erreur sera vécue par Chloé comme un crime de lèse-majesté.

C'est à cette époque qu'elle a rencontré Adrien Agreste. Contrairement aux autres enfants, ceux qu'elle était obligée de croiser à l'école, il était comme elle. Riche, au-dessus du reste du monde, traité comme un prince. Un prince prisonnier qui ne pouvait pas sortir de chez lui. D'un côté, elle estimait qu'il avait de la chance de ne pas avoir à croiser des gens comme la boulangère à l'école. De l'autre, elle se demandait comment il parvenait à vivre sans jamais quitter sa maison. Grande maison, oui, mais il y avait tant de choses à voir dehors. Elle était sa seule amie. Partie de ce principe, elle le classifia comme tous ses proches, persuadée qu'il l'admirait, l'aimait et ne lui voyait aucun défaut. C'était une évidence, n'est-ce pas ?

Bien sûr, il y avait d'autres personnes qui gravitaient autour d'elle. Sabrina, notamment, amie depuis la maternelle, si tant est qu'on puisse la qualifier comme telle. Dire que Chloé ne l'aime pas serait un mensonge, mais un mensonge difficile à considérer comme tel de l'extérieur. Elle est extrêmement attachée à elle mais l'appelle malgré tout sa "sous-fifre" quand elle en parle aux autres. C'est pourtant une des rares personnes dans son entourage à qui Chloé a plusieurs fois fait des cadeaux, de son plein gré, en dehors des conventions sociales des anniversaires ou de noël. Une personne importante, assez naïve ou seule pour ne pas encore avoir fuit son entourage. Leurs quelques disputes ont souvent été résolues avec l'aide de Jean-Daniel, déterminée à ce que la fille de son employeur ne se retrouve pas écrasée par la solitude.

Par sa famille, elle rencontra d'autres personnes de la haute société. La famille de Salois, en particulier les jumelles, firent rapidement partie des têtes récurrentes. Marie-Alice, contrairement à Sabrina, avait droit à un statut légèrement plus important, mais c'était une évidence : leur classe sociale n'avaient rien à voir. Pas forcément son amie, mais une force utile dans sa vie. Quant à Théoxanne…
Théoxanne. Drôle de phénomène. Parfois, elle avait l'air d'aller dans son sens. D'autres fois, elle avait l'air mal à l'aise. Au final, Chloé reste à l'affût de ses petites erreurs pour pouvoir plus aisément les lui renvoyer au visage, surtout quand elle sort des idioties. Il y a bien eu une période où elle lui a semblé plus naturelle, mais ça n'a pas duré. Et puis elle est amie avec… l'autre.

L'autre. Cette fille aux cheveux roses apparue de nulle part. Cette… moitié de sœur. Une absurdité. Impossible à croire, impossible à admettre. Pourtant, la réaction de sa mère ne laissait aucune place au doute. Elle n'avait ni hésité, ni même demandé de qui elle parlait, encore moins réalisé que Chloé n'avait jamais été au courant de cette aberration. "Oui, oui, ta soeur. Qu'est-ce qu'elle a fait ?" Pour anodins qu'ils soient, les mots l'avaient marquée. Elle avait senti quelque chose s'effondrer dans son esprit. Elle avait une sœur. Non, une demi-sœur. Une fille que sa mère avait eue avec quelqu'un d'autre, une fille qu'elle n'avait jamais rencontré, une fille sans la moindre classe qui n'avaient même pas cru bon de se présenter à elle et était allée voir, de toutes les personnes, Théoxanne. Elle, sa sœur ? Impossible.
Et puis elle avait fait le lien.
Avec les années d'absence de sa mère, partie à New York. Elle avait appris que Zoé était plus âgée qu'elle. Elle n'était pas la première fille, pas la fille unique, elle était la deuxième. Deuxième. Deuxième dans le cœur de leur mère, aussi, du moins c'est ce qu'elle crut. Comment expliquer, sinon, que sa mère ait quitté le pays aussi longtemps pour être avec elle ? C'était donc pour ça qu'elle n'avait jamais eu l'amour qu'elle méritait. À cause d'elle. Sa sœur. Ridicule.

La révélation l'a secouée, a rouvert des blessures qu'elle pensait avoir enterrées sous le tapis depuis longtemps. Ça plus la tendance d'Adrien à se faire distant, et le fait qu'il vivait avec l'autre Lady-pacotille… Son monde éclata en fragments qui furent tous projetés sans états-d'âme au visage de Sabrina. Sa seule amie, sa seule vraie amie. Une fissure de plus, quand la rouquine fondit en larmes et quitta l'hôtel. Une dernière, quand Jean-Quentin essaya de la raisonner et que Chloé lui lança sa peluche à la figure, le mettant dans le même sac que les autres qui avaient cru bon de lui cacher l'existence de sa sœur.
Sa mère, son père, Théoxanne, Jean-Simon. Qui d'autre avait été au courant avant elle ? Adrien ? Ou, pire, Dupain-Cheng ? À ce stade, elle était prête à le croire. Elle était la seule qui ne savait rien. Toute la ville était au courant, sauf elle. Sa colère aurait pu la faire akumatiser. Le Papillon était sans doute occupé avec d'autres pantins, car ça n'arriva pas. Mais la rage gronde toujours en elle, prête à éclater. Sabrina n'est pas encore revenue la voir et, au fond d'elle, elle a aussi – et surtout – peur d'avoir réduit en miettes sa seule amitié. Mais elle a trop d'orgueil pour s'excuser. Quant à sa mère… Quelle mère ? Cette femme qui lui a préféré une idiote aux cheveux roses sans la moindre classe n'est pas sa mère. Elle n'a jamais eu de mère, juste un fantôme dont elle n'a jamais réussi à attirer le regard. Tant pis.

Il n'y a plus grand monde autour d'elle, aujourd'hui. Jean-Henry lui a pardonné, comme toujours – a-t-il le choix, de toute façon ? Son père est toujours prêt à obéir au moindre de ses caprices. Marie-Alice, peut-être. Les autres ne sont encore que des fantômes entre lesquelles elle navigue et qu'elle écrase s'ils font l'erreur de lui adresser la parole. Sans études, sans travail, Chloé dilapide l'argent infini de son père en shopping, sorties et vie extravagante jusqu'à réussir à remettre ses sentiments de côté et enfin reprendre son rôle. Une fois quelle ira mieux, elle reprendra sa place. Elle commencera par récupérer son amie, un cadeau fera l'affaire pour ravoir Sabrina à ses côtés.
Pour les autres, elle verra au cas par cas, entre se venger ou les magnétiser dans son entourage jusqu'à ce que leur volonté lui appartienne. Dans la vie, c'est l'argent qui finit par gagner. Ça tombe bien, elle en a beaucoup.