Rien de mieux qu’une belle journée de printemps pour s’installer sur un banc du parc communale. Nous sommes au mois d’avril et en tant que lycéenne de première, je suis sensée me concentrer sur une seule chose en ce moment : le bac de français. Malheureusement pour moi et les vingt textes que je dois lire, mes pensées sont préoccupées par bien d’autres choses.

Seule sur mon banc, ma sacoche posée à côté de moi, j’essai de lire le roman de littérature classique que nous a recommandé mon professeur mais il n’y a rien à faire. Mon regard a beau passer encore et encore sur les lignes, je n’arrive pas à me concentrer.

Je finis par soupirer et poser ma tête en arrière. Delphii en profite pour sortir de ma sacoche et regarder ce que je lis.

– Ça n’a pas l’air très intéressant mais c’est rare de te voir soupirer devant un livre. Tu lis des trucs plus difficiles que ça d’habitude non ?

C’est qu’il commence à bien me connaître ce petit dauphin. Il faut dire que ça fait déjà un an, que je suis sa porteuse. C’est dingue, je n’ai pas vu cette année passer.

– Ce n’est pas le livre le problème, c’est moi. Je n’arrive pas à me concentrer sur… le lycée.

Mes pensées sont toutes dirigées vers mon rôle d'apprentie gardienne. Heureusement, je suis bonne élève, donc tout cela ne me retarde pas du tout mais… Je n’aime pas ne pas arriver à me concentrer pleinement sur ce que je dois faire.

Je vérifie qu’il n’y a personne aux environs pour discuter un peu plus ouvertement avec mon Kwami.

– Je n’arrête pas de penser aux amalgames. J’ai peur que cette découverte ne nous avantage qu’un temps. Papillon finira par découvrir son fonctionnement. Et ce sera ma faute…

Delphii vole directement contre ma joue pour se frotter contre moi. Il est trop mignon, à vouloir me réconforter. Je n’ai cependant pas le temps de continuer à penser à ça. Des pas arrivent dans notre direction. Delphii se cache dans ma sacoche alors qu’un garçon s’approche de moi. Tiens mais je le reconnais !

– Bonjour, je ne sais pas si tu te souviens de moi, mais tu m'as aidé une fois avec des petits problèmes. Moi c’est Ethan.

Je hoche la tête. Oui, je me souviens de lui. Il était salement amoché. Je ne pouvais simplement pas le laisser comme ça.

– Oui je m’en souviens. Moi c’est Ayane, enchantée.

C’est vrai qu’on ne s’était pas présenté la dernière fois. Il faut dire qu’il était parti comme un voleur avant que je n’aie pu lui demander son nom.

– Je me demandais si tu voulais bien faire quelque chose, ou quoi pour te remercier et m'excuser si ça te dérange pas.

Hein ? Euh, vraiment ?

– Euh, je, je ne sais pas trop. Tu me prends au dépourvu là. Je n’ai pas fait ça pour qu’on me remercie tu sais. Tu étais blessé et j’avais de quoi te soigner sur moi c’est tout. C’était normal.

Il a l’air de vraiment vouloir faire quelque chose pour moi en retour mais… je n’ai pas la moindre idée.

– Ce qui me serait vraiment utile, là maintenant tout de suite, ce serait de réussir à oublier mes problèmes et à me concentrer sur ce livre. Le bac de français approche à grands pas et il me reste plusieurs textes à étudier.

Peut-être que discuter avec lui pourrait m’aider à penser à autre chose ? Ce garçon est peut-être tombé du ciel pour m’empêcher de penser aux amalgames, à Nova et à Papillon.

Il insiste. Il veut vraiment m’aider à quelque chose. Ça me fait sourire sans que je ne puisse le contrôler. C’est même plutôt amusant. La dernière fois que je l’ai vu, il était en mode caïd, blessé après une bagarre. Et là, il est tout gêné, me suppliant presque de le laisser m’aider. J’espère qu’il n’est pas obnubilé par ça depuis l’accident parce que ce serait franchement bizarre. J’ai déjà assez de personnes étranges à gérer au quotidien en tant que Lamia. Pas besoin d’en avoir aussi en tant qu’Ayane.

– Peut-être que je peux t'aider à oublier tes problèmes, comme ça tu seras plus concentrée sur ton bac, une pause ne fera pas de mal, c'est comment dire ? Laisser reposer un appareil, ça peut être embêtant quelques heures, mais au final, il finit par marcher beaucoup mieux. En-tout-cas, ça a marché plutôt bien avec moi lors de mon bac.

Cette métaphore est surprenante de véracité. Quand il a commencé à partir là-dedans, je n’aurais pas cru que je serai autant d’accord avec lui.

– Eh bien, tu as raison. Notre cerveau est une sorte de machine après tout.
– Enfin bon, on peut juste discuter un peu, en fonction du problème, ça risque de partir tout seul.

Je ne sais pas si c’est si simple mais j’aime son optimisme. Je ferme donc mon livre et me décale sur le banc pour lui laisser de la place.

– Bonne idée, ça me fera sûrement du bien de quitter la littérature française pendant quelques minutes. Je t’en prie, installe-toi, ça va être bizarre si tu me parles en restant debout comme ça.

Il finit par changer de sujet en abordant ses loisirs. Oui, piste intéressante. Parler de quelque chose d’insouciant comme ça ne peut que me faire du bien. Si j’oublie que l’un de mes loisirs est d’être une apprentie gardienne, bien sûr. Le pauvre Delphii ne doit pas être très heureux de se retrouver bloqué dans mon sac d’ailleurs.

– Wow, du violon ! Je ne fais pas du tout de musique mais j’ai cru comprendre que c’était un instrument très difficile à jouer. Tu en fais depuis longtemps ? Personnellement, je passe une grande partie de mon temps à lire et je fais de l’équitation.

C’est alors qu’une autre question me vient en tête. C’est vrai que je ne lui ai pas demandé ça.

– Au fait, tu as quel âge du coup ? Désolée de poser la question mais je n’avais pas l’impression que tu étais beaucoup plus vieux que moi et tu parles du bac comme si c’était il y a une éternité.

Je ne prends pas le peine de lui dire que j’ai 17 ans. Il sait que je suis en première puisque je passe le bac de français. J’espère qu’il ne considère pas ma question comme étant indiscrète. Mais bon, je suis curieuse et j’aime bien savoir à qui je parle. J’imagine que je passe sur lui ma frustration de ne pas connaître l’identité secrète d’un certain nombre de Héros et de Vilains.